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  • Photo du rédacteurFr. Ignace Berten, dominicain

Pourquoi lire le livre "Paul de Tarse" de Daniel Marguerat

par Frère Ignace Berten, O.P.



Daniel Marguerat, Paul de Tarse, présentation


Dans sa préface : « Paul n’est pas le théologien poussiéreux qu’on croit. Ce qu’il projetait, mais ne s’est pas réalisé, est un projet d’Église que la chrétienté s’est très tôt refusée à réaliser. Pour le dire autrement : Paul n’est pas derrière nous, mais devant nous » (15).


Paul est intéressant comme figure interculturelle : « Religieusement juif, culturellement grec, politiquement romain ; il se situe au carrefour de trois mondes » (27).


Au sein du judaïsme, il est pharisien. Son pharisaïsme est un choix. Il s’agit d’un mouvement laïc de résistance contre l’hellénisation imposée de la société. Ce pharisaïsme pieux défend un idéal perfectionniste. Ses marqueurs identitaires : les règles de pureté, des normes sur le comportement quotidien, des prescriptions sur le jeûne et le calcul de la dîme. Paul a été un pharisien militant.


Remarque sur la datation. Si on retient l’ensemble des données historiques accessibles, deux dates sont possibles pour la mort de Jésus : le 7 avril 30 ou le 3 avril 33. Marguerat retient comme la plus probable le 7 avril 30. C’est très tôt après l’expérience de la résurrection que Paul commence à persécuter les chrétiens.


Paul vit un retournement, résultat d’une vision dont il est le sujet à Damas, en 34 sans doute. Ce que dit la psychologie de la religion : a) que la conversion mystique est une expérience émotionnelle intense du divin, qui fait capituler le sujet ; b) que la conversion est un processus conduisant l’individu à changer de système de signification, c’est-à-dire à bouleverser sa vision de Dieu, du monde et de soi ; c) que la conversion provoque un changement identitaire, qui nécessite d’être validé par le nouveau groupe auquel s’affilie le sujet ; d) que le récit de conversion est une reconstruction de l’individu, une mise en scène visant à faire porter toute l’initiative à Dieu (47-48). Paul ne comprend pas la révélation dont il est le sujet comme une sortie du judaïsme. Par sa vision, il comprend que, contre ce qui était déclaré, Jésus n’est pas maudit. Sa vie bascule véritablement à ce moment.


Paul est instruit par Ananie et s’insère dans la communauté de Damas, puis il se fait lui-même prédicateur, annonciateur de l’évangile de Jésus. Il entreprend plusieurs voyages missionnaires. Marguerat explique le choix des itinéraires. La première lettre de Paul aux Thessaloniciens est le premier écrit chrétien ; elle date de 50 sans doute. Que prêchait Paul pendant ces années, près de quinze ans ? On l’ignore. Il devait être l’écho de l’annonce commune, dont nos évangile témoignent. Paul mettra l’accent sur certaines dimensions de cette foi, mais on peut penser que sa prédication repose sur annonce évangélique, c’est-à-dire le témoignage sur la vie de Jésus.



Les relations de Paul avec la communauté de Jérusalem ont été difficiles, du fait que Paul s’adressait d’abord aux païens. Il y a eu tout le débat sur les observances juives, et en particulier sur la circoncision, dont Paul disait qu’elle ne s’imposait plus. Il y a eu de difficiles malentendu.


Les lettres de Paul répondent aux circonstances concrètes et aux questions tant de compréhension de la foi que de vie pratique des communautés.


La plupart des lettres de Paul ne sont pas l’œuvre d’un homme isolé : elles sont écrites avec la participation de divers collaborateurs. Très souvent, Paul dit « nous ». Par ailleurs Paul fait souvent appel au service d’un secrétaire. La lettre était envoyée par un porteur. Elle était lue publiquement dans le culte par un lecteur-interprète qui avait été associé à la rédaction, et qui lisait et commentait : rôle important dans une culture principalement orale. De plus, à l’époque, il n’y a pas l’idée moderne de droit d’auteur : en recopiant on pouvait changer en partie le texte, le compléter, etc. D’où les variantes.


Les lettres de Paul, montrent que sa pensée évolue. Un exemple caractéristique : dans la première lettre aux Thessaloniciens, Paul est particulièrement dur vis-à-vis des juifs, en raison du fait qu’il est persécuté par eux. Quelques années plus tard, dans la lettre aux Romains, il sera beaucoup plus nuance, en faisant explicitement place à Israël dans le plan de salut de Dieu.


La première lettre aux Corinthiens témoigne bien du sens des lettres de Paul comme réponse concrète aux situations. Deux ans après avoir quitté Corinthe, Paul, assisté de Sosthène, écrit à la communauté. On lui avait écrit pour l’interroger sur une série de questions : « la sexualité, le couple, les viandes sacrifiées aux idoles, la tenue des femmes, la collecte en faveur de Jérusalem » (120). Et des questions théologiques fondamentales, comme la résurrection des morts. Dans tous les domaines, il y a des désaccords, des conflits. La communauté est divisée en chapelles. On se réfère à Paul lui-même, à Apollos venu d’Alexandrie, à Pierre et l’Église de Jérusalem… Les croyants ont développé anarchiquement ce qu’ils ont compris de la prédication paulienne, en faisant appel à d’anciennes habitudes : la recherche de la sagesse, le goût des expériences spirituelles, le doute sur la résurrection… Cette explosion de la communauté est d’autant plus compréhensible que la chrétienté vit en régime d’Églises de maison, autour de croyants aisés disposant d’une maison individuelle apte à recevoir du monde, mais de façon limitée. Dès lors, c’est la dispersion de groupes divers. Paul argumente, il n’y a qu’un fondement, le Christ, et un même baptême.


Mais s’instaurent aussi des divisions sociales. Dans ces maisons-Églises, il y a une salle à manger, où on mange couché, avec par la force des choses un nombre limité de convives proches de l’invitant, les autres se retrouvant dans le patio, l’atrium. Ceux-là se sentent marginalisés. Paul ne donne pas de consigne morale : il renvoie à l’essentiel, comment faire réellement communauté fraternelle ?


À partir de là, le fondement, c’est la croix, scandale et folie de Dieu. « Paul répond ici à la question: comment trouver Dieu ? Réponse : ailleurs qu’on ne le pense ! Car l’Évangile de la croix met en déroute tous ceux qui cherchent Dieu » (131). « Prêcher un Crucifié allait à l’encontre des valeurs culturelles, tant juives que grecques » (133). Il y a là une pensée totalement novatrice. « L’inouï de Dieu ne peut être capté que par celui, celle qui lâche prise, qui consent à l’effondrement de son imaginaire religieux, qui accepte de convertir son regard sur Dieu en accordant confiance à la parole la plus déroutante sur le divin qui ait été donnée à l’humanité d’entendre » (136).


Paul met au cœur de sa réflexion la croix et la résurrection, la croix renversant toutes les conceptions tant religieuses que philosophiques sur le sens fondamental de la vie et sur l’image de Dieu : Dieu qui se révèle en ce qu’il est sur la croix.


Et les femmes ? Paul ne serait-il pas misogyne ? « La mixité de la communauté culturelle chrétienne est une rareté dans la société d’alors. « À Corinthe, des femmes sont chargées de rites communautaires, priant et prophétisant, usant de droits et assumant des fonctions par ailleurs ouvertes aux hommes. Pareille situation d’égalité de sexes est un phénomène pratiquement unique » (146).


Je ne suis pas le parcours de Marguerat dans la lecture des différentes lettres. Ce sera notre travail.


Pour comprendre Paul, il est très important de distinguer les lettres dont Paul est l’auteur de celles, plus tardives, qui ont été écrites et diffusées sous son nom. Ill y a eu une véritable école de disciples de Paul. Marguerat en parle dans sa troisième partie, Paul après Paul. Or ces disciples n’ont pas été en tout fidèles à l’esprit de leur maître. Ils ont sérieusement infléchi sa pensée dans une direction plus institutionnelle, moins libre, avec davantage de concessions à la culture dominante, en autres vis-à-vis des femmes.


« Le “deuxième Paul” est le Paul reconstruit par la mouvance issue de lui, en des déclinaisons qui, chacune, prolongent et amplifient une potentialité de sa pensée » (356).


En conclusion.


Jésus et Paul sont juifs, presque contemporains, ayant reçu leur vocation d’une expérience visionnaire ; ils mènent une vie itinérante ; ils dénoncent une justice fondée sur la Loi ; ils meurent de mort violente ; ils développent une théologie novatrice. Mais Paul ne se présente pas comme initiateur, mais comme « esclave de Jésus Christ ». Le christianisme de Matthieu et celui de Jean ne doivent rien à Paul, et il y a divers acteurs majeurs aux origines du mouvement.


Le centre du message de Jésus, « Le Règne de Dieu s’est approché, convertissez-vous », est tout différent de celui de Paul, « J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous sinon Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié ». « L’apôtre Paul n’innove pas en faisant de la croix un événement de salut ; il innove en faisant de la croix la clef de l’événement Jésus Christ » (407). Paul n’a pas été le porte-parole de Jésus, il en a été l’interprète. Le plus fidèle ? En tout cas celui qui a permis l’ouverture à l’universalité. Comment a-t-il interprété Jésus ?


Premier thème : l’universalité. Jésus a pris le contrepied de l’exclusion, s’ouvrant aussi à des non-juifs, offrant un Dieu de grâce et un pardon inconditionnel. Paul a créé des communautés mixtes, plurielles. « De Jésus à Paul, la différence n’est pas de fond, mais d’extension. [...] Paul a mondialisé ce que le message de Jésus avait de plus provocateur au niveau des relations humaines » (409-410). Il est le fondateur de l’universalisme chrétien. « Paul visionnaire ? Regardons aujourd’hui notre chrétienté fatiguée, accrochée trop souvent à une hiérarchie exclusivement masculine ou tentée de se replier sur des communautés ethniques. Il ne serait venu à l’idée de personne, ni en Israël, ni en Grèce, ni à Rome, que des femmes puissent enseigner, prophétiser lors du culte ou être envoyées en mission comme apôtres » (410). C’est ce que Paul a fait.


Deuxième thème : l’éthique du discernement. « Paul, lorsqu’une question morale est posée, est le plus souvent déroutant. Parce qu’il ne tranche pas par oui ou par non, mais déplace la question. [...] Paul ne résout jamais une question morale en fixant une règle, mais en appelant au discernement » (411). Il le fait systématiquement à partir du rapport à autrui au sein de l’Église, fondé sur l’amour. Quand Paul parle de l’amour en 1 Co 13, il développe une morale de l’excès et radicale analogue à celle du Sermon sur la montagne. « Paul met en place une éthique de la liberté, qui est une éthique de responsabilité » (414).


Troisième thème : la mort en croix. « L’innovation théologique de Paul a été de focaliser la Bonne Nouvelle sur la croix » (415). Il faut lier cette théologie de la croix et le cri de Jésus au Golgotha : les représentations traditionnelles du divin sont par-là fracturée.


Quatrième thème : la politisation du message. Paul n’a pas prôné l’abolition de l’esclavage [pas plus que Jésus]. Du côté de Jésus : « Rendez à César… ». Il n’y a pas un chèque en blanc accordé au pouvoir politique. Il y a un pouvoir surplombant : celui de Dieu. Pour l’esclavage, il y a le constat sociologique. 1 Co 7,29-31 : il s’agit de vivre « comme si… pas » « Car la figure de ce monde passe. » « Il s’agit d’éviter que [l]es réalités concrètes définissent exhaustivement l’identité de la personne » (420). L’identité du croyant est refondée, identité plus profonde que la condition sociale ou les circonstances.


Fr Ignace Berten, O.P.




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