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Vendredi 9 mai 2025

Les exilés chez nous

Abbé Stanis Kanda
Genèse 37

Le pharaon dit à Joseph, fils de Jacob : Puisque Dieu t'a fait connaître toutes ces choses, il n'y a personne qui soit aussi avisé et aussi sage que toi. Tu seras donc à la tête de mon royaume, et tout mon peuple se pliera à tes ordres. Moi-même je ne serai au-dessus de toi que par le trône. Ainsi, lui dit-il, je te mets à la tête de toute l'Égypte. Et le pharaon retira son anneau de sa main et le passa au doigt de Joseph ; il le fit revêtir d'habits de fin lin et lui suspendit un collier d'or au cou[g]. C'est ainsi qu'il le mit à la tête de toute l'Égypte. Le pharaon dit encore à Joseph : Je suis le pharaon. Mais sans ton ordre, personne dans tout le pays ne lèvera le petit doigt ni ne se déplacera ... Joseph sortit en hâte car la vue de son frère l'avait profondément ému, et il chercha un endroit pour laisser couler ses larmes ; il se retira dans sa chambre et pleura. Puis il se lava le visage et ressortit. Il contint son émotion et ordonna de servir le repas. On fit asseoir les frères en face de Joseph, par ordre d'âge, de l'aîné au plus jeune, de sorte qu'ils se regardaient l'un l'autre avec stupéfaction.

Évangile selon saint Matthieu 2, 13-15

En ces temps-là. Après le départ des mages, un ange du Seigneur apparut à Joseph dans un rêve et lui dit : Lève-toi, emmène l'enfant et sa mère, et fuis en Égypte. Tu y resteras jusqu'à ce que je te dise de revenir, car Hérode fera rechercher l'enfant pour le tuer. Joseph se leva donc, emmena l'enfant et sa mère, de nuit, pour se réfugier en Égypte. 15 Il y resta jusqu'à la mort d'Hérode. Ainsi s'accomplit ce que le Seigneur avait dit par le prophète : J'ai appelé mon fils à sortir de l'Égypte.

Joseph et ses larmes d'exilé ?

L'immigration et l'exil sont des phénomènes mondiaux complexes qui méritent d'être abordés sous diverses facettes. La méditation que j'en propose se placera (à la lumière de cet Evangile) à trois niveaux :

Plutôt que de parler déjà de mon histoire, je vous propose une grille de lecture inspirante. Celle d'un personnage expressément religieux et mythique. Sa localisation dans le temps et dans l'espace donne à mes propos l'aisance d'universaliser mes conclusions face aux époques. Il s'agit de Joseph, fils de Jacob ayant été vendu par ses frères aux marchands égyptiens pour finalement devenir une sorte de main salvatrice pour sa tribu.

Ceux qui se reconnaîtront dans mes propos seront rejoints avec respect dans leurs parcours. Les chemins de vie peuvent avoir des connivences même quand les épisodes ne sont pas les mêmes. Car, qui peut prétendre n'avoir jamais vécu de rejet en famille ou en milieux sociaux?

C'est dans ce cadre qu'il devient essentiel de cerner les enjeux qui conduisent des individus à quitter leurs pays d'origine de gré ou de force. De gré à l'instar d'Abraham ou de force comme Joseph. Ces départs en exil ou en immigration peuvent être abordés avec justesse et sans préjugés. Les imbrications sociales, économiques et existentielles qui vont s'en suivre ne seront que des cadres d'appréciation globale pour ces déplacements.

Que ce soit pour la recherche des opportunités économiques, pour la fuite des conflits ou pour le regroupement familial, les aventures des exilés sont un reflet des drames de tout un chacun de nous. Pour autant que l'on se trouve dé-saisi d'un lieu pour un autre, d'un endroit vers un autre, d'un horizon vers un autre. Parfois sur un sol très glissant qui pourra menacer nos identités au risque du sacrifice suprême. C'est le risque de tant d'illusions dans nos vies.

1.Les enjeux de départ : des contextes familiaux

Tout peut partir d'un environnement affectif malsain. Un prétexte ou une frustration relationnelle qui conduit à la rupture, au rejet et voire à la guerre. Souvenez-vous. Ce sont des propres frères de Joseph qui lui ont ouvert la route de l'exil sur base d'une jalousie. Les rivalités affectives entre frères ont conduit au drame dans la famille de Jacob : vendre un frère et briser une relation de sang (Genèse 37,15-17.25-28.36). C'est vite arrivé sur fond de construction idéologique : rejeter l'autre parce qu'il menace notre rang social.

C'est justement ici le lieu de replacer mon histoire.

Nous sommes dans les années '90. Le vent de la Perestroïka secoue le monde des politiques; allant jusqu'à questionner les paradigmes des idéologies dictatoriales. Et l'Afrique en devient la scène avec les dictatures de Bokasa, Mobutu, etc. C'est l'ère des conférences nationales comme « cadres » pour démettre les systèmes tyranniques. Malheureusement, le génie des politiques est de toujours savoir trouver la manœuvre requise pour récupérer toute situation menaçant leur survie aux affaires politiques. Dans le cas du Zaïre de Mobutu, les tenants du pouvoir avaient actionné le levier des haines inter-ethniques.

S'appuyant sur des latentes frustrations ethniques entre les originaires du Katanga et celle du Kasaï , le régime va réveiller des instincts de xénophobie des peuples du Katanga contre ceux du Kasaï. Ces derniers, présentés comme des étrangers envahisseurs, vont être chassés de la province du Katanga. A partir de novembre 1991, des affrontements atroces provoquent beaucoup de morts et des dégâts matériaux. Cfr Lettre de Mgr Songa Songa (1992).

Entassées dans des lieux publics dans un premier temps, ces familles n'ont eu de choix que de s'exiler. C'est la fuite ... chacun plongeant dans le trou du destin. A l'instar de Joseph... Le trou n'est-il pas l'image parfaite des populations plongées dans le noir tourbillon de leur Histoire? Quitter un lieu connu vers l'inconnu n'est jamais une sinécure. Pour nous, la province où l'on nous renvoyait était, de fait, une parfaite inconnue.

Nous devenions ainsi des réfugiés dans notre propre pays. Disons, des déplacés internes fuyant une région en raison de la guerre, de la persécution et d'autres formes de violence. Prendre cette décision de partir pour des familles n'a pas été un choix facile. Le Kasaï était pour nous une terre inconnue, avec des langues et des mentalités pas toujours pareilles.

Du coup, nous formions un mixte des réfugiés -des gens qui s'éloignent d'une menace vers un lieu sécurisé - et des immigrés solidaires qui, révoltés de la situation, choisissent de partir vers le Kasaï soit pour un emploi, soit pour rejoindre des familles.

2. « Quitter son pays», prendre la route de l'exil   

L'exode du Katanga vers le Kasaï ne devenait-il pas une aventure toute semblable à celle de Joseph parti vendu vers un monde inconnu. Il lui a fallu accepter des ruptures. Ruptures professionnelles : prêtre d'un an et professeur dans un petit séminaire. Ruptures économiques : mon père était directeur d'école. Ruptures sociales : tous les liens d'enfance tissés dans la société. Il fallait les quitter , prendre la route . Une route dont les savanes sont désormais devenues une mémoire des cris des souffrances de tout un peuple. 800.000 personnes ont dû prendre ce chemin que le professeur Kangomba qualifie de« cimetière le plus long du monde ».

Et ce n'est pas toujours par bravoure qu'un personne prend la route de l'exil. Les affres qui nous y ont résolus sont de divers ordres :

  • Humanitaires : le manque souvent cruel des ressources pour vivre dans les campements de refuges

  • Sécuritaires : les persécutions et les attaques répétitives des milices katangaises rendant le séjour au Katanga très périlleux.

  • Sanitaires : la dégradation des conditions sanitaires entrainant des épidémies oblige aux déplacements

  • De survie: l'espoir de rejoindre un cadre affectif et familial moins hostile procurant parfois des rêves.

L'aspect le plus difficile lorsque vous quitter la seule maison que vous n'ayez jamais connue, même si vous savez que c'est la bonne chose à faire, est la digestion des brutalités qui vont avec. Parallèlement s'installe une sorte de nostalgie de l'enfance perdue, du paradis abandonné et d'une partie violée dans son existence.

3. L'Egypte ou la métaphore des exilés

Arrivés au Kasaï pour être cantonnés dans des camps de réfugiés n'a fait qu'empirer la situation des expulsés du Katanga. C'est ainsi que, une fois en Belgique, je me suis fait fort de ne pas cacher mes larmes. Celle de tout une population dont l'histoire se poursuit dans un village des réfugiés internes: CIBOMBO.

Pris au carrefour de ce passé que je porte et du présent qui me porte, je dois vivre cette double loyauté aux « lieux » constitutifs de mon existence. Mon passé au Congo et mon présent en Belgique.

3.1. Loyauté au pays d'accueil

Un pays d'accueil des exilés n'est pas une table rase. Populations autochtones y vivent avec des droits naturels propres et des devoirs patriotiques. L'arrivée des immigrés dans ces contrées est devenu un sujet complexe et controversé. Les débats sur l'immigration dans ce contexte ont pris des tournures polarisantes, avec des opinions divergentes sur les avantages et les inconvénients pour l'économie, la société et la culture.

La présence des immigrés peut permettre une diversité culturelle, enrichir des traditions et favoriser l'ouverture en brisant des carcans identitaires. Bien de défis sont à aborder dans les politiques migratoires pour revenir à l'équilibre entre sécurité, intégration et respect des uns et des autres. Les travailleurs immigrés peuvent contribuer à l'économie en apportant des compétences et des talents uniques, et en occupant des emplois qui ne sont pas pourvus localement. Ils peuvent également contribuer à la diversité culturelle et linguistique d'un pays, enrichissant ainsi sa société et sa culture.

Car, des enjeux de cohésion sociale peuvent être ainsi abordés :

  • L'intégration et cohésion sociales: comme Joseph devoir s'appuyer sur les compétences pour s'intégrer à travers l'accès à l'éducation, à l'emploi et aux services de santé.

  • L'impact économique: l'apport au marché du travail par une expertise supplémentaire, même au plus niveau de responsabilité sociale (Joseph)

  • Questions politiques et identitaires : plutôt que de polariser le sujet de l'immigration, se donner des cadres de débat citoyens où les enjeux d'ouverture et d'égalité sont abordés.

3.2. Loyauté au pays d'origine: les larmes de l'exil

Partir de chez soi est toujours un arrachement, une décision pas souvent aisée. C'est la cuisante réponse à la question identitaire du « qui suis-je » vraiment ? Etre du monde et de nulle part à la fois est toujours une déchirure« intérieure» que l'on garde dans son exil. Et quoiqu'il soit devenu, Joseph n'a pas su retenir des larmes une fois devant sa propre Histoire, ses frères et son père qui l'ont renvoyé à sa mémoire : « Si je t'oublie Jérusalem ... » .

Et son geste pour ceux qui sont restés au pays rejoins bien l'élan des attentions bien visibles de tant d'exilés pour leur terre natale. Continuer à porter une attention aux besoins de ceux restés au pays. Ce regard «positivant» au travers des Asbl n'est-il pas un NON à la désertion, à l'abandon des leurs pour un positionnement responsable ? Entre resté à se lamenter de la misère de son peuple ou s'introduire dans un circuit de solidarité efficace pour en découdre avec la misère de son peuple , le choix de Joseph est fait. Par sa position, il ouvre la cour de pharaon à la misère de son peuple.

Joseph, même premier ministre à la cour de Pharaon, n'a eu de cesse de penser à sa famille restée en Canan. Lorsque vous déménagez, vous laissez un petit morceau de votre cœur derrière vous. Puissent les politiques ayant à charge de favoriser l'intégration des migrants investir les efforts à ne pas ignorer les attaches affectives aux origines. La famille et les amis finissent par manquer terriblement dans ces circonstances. Si vous avez quitté des parents proches comme des frères et sœurs, des enfants ou des parents âgés, leur bien-être en votre absence sera certainement une source d'inquiétude pour vous. De plus, vous pouvez ressentir le désir et l'obligation de les aider.

Dans le cas qui est le mien, je me suis donner un cadre de réflexions et d'actions dont l'ambition est non seulement de mieux informer les populations de Cibombo de la situation réelle d'ici (pas de vente d'illusions) mais aussi de créer une solidarité hurnanisante de prise en charge locale par la population elle-même. Renforcer les capacités entrepreneuriales locales pour qu'enfin les énergies soient mises à la construction des structures de développement intégral communautaires. En ayant créé une communication claire entre un comité del' Asbl IPAMEC ici et à Cibombo, le dialogue va valoriser les piliers de développement solidaire.

En conclusion: l'exil présente des défis sociaux , des enjeux psychologiques et des opportunités qu'il importe de considérer à leur juste mesure si l'on veut construire une société inclusive et équitable sans gangrène. Car , dit André Wenin, les gens doivent « apprendre que le bien n'est pas une jouissance solitaire...» (Joseph ou l'invention de la fraternité (Genèse37- 50) p.333)

Abbé Stanis Kanda

 

 

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