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9 Mai 2021

La sollicitude de Dieu :
notre Dieu n'est-il pas trop humain ?

Frère Ignace Berten, o.p.

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Le thème de la sollicitude nous permet de caractériser une vie vraiment évangélique : le regard sur les autres et sur la réalité, les attitudes ou les pratiques, à l’image de la manière d’être et de faire de Jésus. On peut se demander : mais est-ce que cela ne peut aussi s’appliquer à Dieu dans la relation qui est la sienne avec nous ? Peut-on parler d’une sollicitude de Dieu à notre égard et à l’égard de notre humanité ? Est-ce que ce mot n’est pas trop humain pour parler en vérité de Dieu ?

Dans l’Ancien Testament, il y a un commandement : ne vous faites pas d’images de Dieu, car ces images risquent pour vous de devenir des idoles. Les juifs ont toujours pris très au sérieux cette interdiction. Chez eux, il n’y a jamais d’images de Dieu, ni d’images en général dans les synagogues. Il en va largement de même chez les musulmans : sauf rares exceptions dans la tradition iranienne, pas d’images humaines dans les mosquées, et en particulier pas d’images de Mohammed. A fortiori, aucune image de Dieu. Seulement des figures géométriques ou des plantes, rarement des animaux.

Il n’en va pas du tout de même dans le christianisme : l’art chrétien surabonde d’images, non seulement des images de Jésus et des saints, mais aussi de nombreuses images de Dieu. Avec une différence : dans la tradition orientale, il y a de multiples images, les icônes, images de Jésus, Jésus dans son humanité et Jésus glorifié, et images des saints, mais jamais de représentation de Dieu.

Cela dit, d’un autre point de vue, le texte biblique, et en particulier celui de l’Ancien Testament, fourmille d’images littéraires de Dieu (à la différence du Coran). UN Dieu qui parle, qui intervient, qui a des sentiments divers… Dans les évangiles, de nombreuses paraboles sont aussi, indirectement, des images de Dieu, bien que le plus souvent Dieu n’y soit pas directement nommé.

Ces multiples images, très contrastées, nous choquent parfois : Dieu y paraît parfois bien colérique, vengeur, ramenant tout à lui, mais en même temps ce sont aussi les images de tendresse, d’extrême sensibilité, de miséricorde…

Dans la foulée du langage biblique, celui des Pères de l’Église est aussi très imagé.

Ces images de Dieu que nous trouvons dans les écrits de notre foi, qui sont aussi de multiples représentations de Dieu, que disent-elles vraiment de Dieu ? En tout cas, elles prennent une place importante dans le discours croyant, dans la catéchèse, dans la prédication.

Au Moyen Âge, au nom d’un discours plus philosophique et métaphysique, on a cherché à purifier le langage théologique et catéchétique afin de respecter davantage l’infinie trans­cendance de Dieu, c’est-à-dire sa différence essentielle par rapport à nous. On attribue à Dieu un certain nombre de perfections : l’amour, la simplicité, le bien, la beauté, la sagesse, la vérité, mais aussi l’éternité et l’immutabilité (Dieu ne change pas, puisqu’il est parfait)… En lui toutes ces qualités dépassent notre imagination et notre représentation, et on ne sait pas très bien ce qu’elles disent. Ce sont un peu des qualités en soi. On est donc assez largement dans l’abstraction. Ce langage métaphysique et abstrait appliqué à Dieu est très éloigné des représentations bibliques. Il comporte un risque de donner à croire qu’on sait ce qu’est Dieu, ce qu’est son essence en elle-même. Pour prendre un exemple un peu extrême cette représentation abstraite de la Trinité qui cherche à dire aussi son unité (1),

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nous parle-t-elle mieux de notre Dieu que la discrète évocation du Dieu trinitaire par l’icône de Roublev (2) ?

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Des philosophes athées critiquent avec virulence les religions, et le christianisme en particulier, en raison, entre autres, de ces images de Dieu. Typiquement en ce sens, le grand biologistes anglais Richard Dawkins, qui publie en 2006 son livre The God Delusion (le délire de Dieu), traduit en français sous le titre Pour en finir avec Dieu. Ce livre a été vendu en anglais à plus de deux millions d’exemplaires et a été traduit en trente et une langues. C’est dire son succès. Petit extrait : « On peut dire que de toutes les œuvres de fiction, le Dieu de la Bible est le personnage le plus déplaisant : jaloux et fier de l’être, il est impitoyable, injuste et tracassier dans son obsession de tout régenter ; adepte du nettoyage ethnique, c’est un revanchard assoiffé de sang ; tyran lunatique et malveillant, ce misogyne homophobe, raciste, pestilentiel, mégalomane et sadomasochiste pratique l’infanticide, le génocide et le “filiicide” [= le meurtre du fils]. »

Cet athéisme agressif et méprisant vis-à-vis de tous les croyants est philosophiquement désolant. Et ce n’est pas le seul exemple : on peut citer en français Michel Onfray et son Traité d’athéologie. Mais cette critique radicale sur les images du Dieu biblique nous pose quand même une question. Il est évident que les figures bibliques nous renvoient à l’image d’un Dieu très humain, un Dieu animé des sentiments et des comportements variés selon les circonstances et parfois contradictoires. Des sentiments humains et des comportements humains qui ne sont pas toujours glorieux : qu’on pense à la vengeance et à la violence. De telles manières de parler sont-elles dignes de Dieu, peuvent-elles avoir quelque vérité au sujet de Dieu, notre Dieu tel qu’il se révèle à nous en particulier en Jésus Christ ? Ces images ne sont-elles pas trop humaines, et ne serait-elles pas le signe de ce que c’est nous qui nous construisons un Dieu à notre image ?

Les images picturales et les statuaires de notre tradition sont aussi le reflet de ces images bibliques.

Je vous propose ainsi quelques-unes de ces images.

‒ Un Dieu de puissance, comme le Dieu créateur de Miguel-Ange (3).

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‒ Un Dieu juge sévère, dont saint François et saint Dominique essaient de calmer la colère, de Rubens (4).

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‒ Un Dieu qui nous présente la croix et qui semble totalement indifférent par rapport au drame de la mort cruelle de Jésus (5)

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‒ À l’inverse, un Dieu qui reçoit le corps de son Fils mort et qui semble complètement bouleversé (6)

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‒ Ou encore un Dieu qui, face à son Fils mort, semble se demander : mais comment cela est-il possible ? alors que saint Jean semble lui en faire le reproche (7).

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Mentalement, nous nous faisons tous et nécessairement des images de Dieu. Par exemple : à quel Dieu nous adressons-nous dans la prière : un Dieu qui viendra résoudre nos problèmes ? un Dieu vis-à-vis de qui nous sommes en colère ? un Dieu auquel nous confions nos souffrances, nos craintes, mais aussi nos joies ? un Dieu que nous remercions ? Un Dieu dont nous avons un peu peur, qui suscite en nous une certaine culpabilité ? Un Dieu surveillant tatillon ? Un Dieu grand-père plus ou moins bienveillant et bonasse ? Et sans doute, cela dépend de notre éducation, de notre culture, mais aussi des moments et des circonstances.

À l’époque moderne, dans sa ligne critique antireligieuse, la culture de l’Europe occi­dentale a eu tendance à ranger parmi les fables et les mythes tout le récit biblique et a considéré l’imagerie chrétienne et plus largement toutes les expressions de la foi comme des formes primitives de religiosité non critique…

Certaines images de Dieu dans l’Ancien Testament nous gênent : Dawkins n’a aucune distance d’interprétation, mais ses expressions ne sont pas totalement fausses. Un Dieu violent vis-à-vis des ennemis d’Israël, un Dieu qui commande, après l’Exode, d’anéantir les villes conquises, hommes, femmes et enfants, pour s’assurer de ne pas être contaminé par les cultes païens. Un Dieu qui se venge sur Israël pour ses infidélités, un Dieu qui juge l’histoire sans aucune pitié… D’autres images nous parlent positivement : un Dieu de tendresse et de miséricorde, un Dieu qui pardonne, un Dieu auquel on peut s’adresser dans la prière, un Dieu libérateur, un Dieu qui promulgue une loi qui protège les pauvres, qui exige l’accueil des étrangers, qui prend parti pour la justice…

Et dans les évangiles, Jésus nomme très peu Dieu, mais il utilise des images, entre autres dans ses paraboles. Un Dieu de bonté, qui accueille, qui pardonne : les ouvriers de la onzième heure, l’enfant prodigue. Un Dieu qui appelle à la confiance. Mais aussi un Dieu juge impitoyable : le jugement dernier chez Mattieu, ou la parabole du riche qui festoie et le pauvre Lazare.

Toutes ces images semblent être celles d’un Dieu qui est humain comme nous : mais est-il alors vraiment Dieu, ou seulement une projection de notre imaginaire, ou du moins quant aux images que nous nous en faisons ?

Que faisons-nous alors avec ces images ? Pouvons-nous nous en passer ? Est-il souhaitable de s’en passer ?

Le livre de la Genèse dit que Dieu nous a faits à son image. Si l’être humain est ainsi à l’image de Dieu, il n’est pas étonnant qu’on cherche à comprendre et à dire Dieu à partir de l’expérience humaine.

Mais nous pouvons quand même nous poser la question : une revalorisation du langage des images peut-elle être conciliable avec les exigences de notre raison moderne ? Autrement dit, ce Dieu qui hésite, qui modifie ses plans, qui exprime colère ou tendresse, au gré des comportements humains, etc., ce Dieu affecté selon le récit biblique, n’est-il que l’expres­sion d’une conception archaïque de la divinité, dont il faut se libérer, ou l’effet d’un langage lyrique et poétique qui n’a pas sa place dans une réflexion sérieuse ? Ce Dieu imagé est-il bien celui que confesse notre foi ? Compte tenu du caractère très sobre du Nouveau Testament à cet égard, on pourrait par ailleurs faire remarquer que c’est sur les figures de l’Ancien Testament que porte l’essentiel de nos questions.

 

Dans nos relations aux autres, nous sommes affectés, nous sommes touchés. Selon les situations, nous sommes habités de sentiments : joie, tristesse ou colère, impatience ou espérance, et parfois marche arrière parce ce qu’on renonce à ce qui était une intention plus ou moins justifiée, etc. Dans la mesure où nous croyons que Dieu s’engage vis-à-vis de nous, dans la mesure où nous croyons qu’il nous aime, il ne peut pas ne pas être affecté par ce que nous sommes, ce que nous vivons. Dans notre expérience, plus l’amour est grand pour une personne, plus la souffrance peut être grande en raison de ce qu’elle vit. Par exemple si elle dérive plus ou moins inexorablement dans l’alcool ou la drogue, ou quand un enfant glisse dans la délinquance… Nous appuyant sur saint Jean, nous disons que Dieu est amour. Il n’est donc pas étonnant que nous projetions en Dieu ces sentiments, tout en étant conscients que nous ne savons pas ce qu’ils signifient en Dieu. Mais au moins ces sentiments disent qu’il y a entre Dieu et nous une vraie relation.

Tertullien, au début du IIIe s., a utilisé une expression très forte « humanissimus Deus », un Dieu très humain ou le plus humain possible, à propos de la révélation de Dieu en Jésus. Cette expression, « humanissimus Deus » a été assez souvent reprise par le grand théologien dominicain Edward Schillebeeckx pour parler de notre Dieu. Un Dieu très humain ou le plus humain : que peut signifier une telle expression ?

Pour le croyant, personnellement et communautairement, Dieu n’est pas le résultat d’un raisonnement. Dieu est un Autre personnel avec lequel une relation est vécue. Il est pour nous un tu. Typique­ment, la prière, qui est au cœur de la foi chrétienne, s’adresse à un tu. Et ce tu est bien personnel. De plus, cette relation est constamment dite expression d’un amour : le croyant, le priant aime Dieu, et Dieu aime l’être humain ou l’humanité, cet amour divin étant confessé comme le premier : Dieu nous a aimés le premier ; tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur…

Dans notre expérience humaine la plus fondamentale, la relation vraie et accomplie est néces­sairement réciproque, en particulier la relation d’amour. Si l’autre est indifférent à la relation, cette relation manque grave­ment de vérité, elle n’est en tout cas pas de l’ordre de l’amour : l’amour d’autrui peut certes ne pas être réciproque, mais alors la relation d’amour n’est pas accomplie. En ce sens, concevoir une véritable relation qui soit de l’ordre de l’amour, mais qui ne soit pas réciproque, est-ce vraiment une démarche intellectuelle raisonnable ? Si, par ailleurs, le rapport à Dieu est réellement relationnel, n’est-ce pas à partir de l’expérience des relations humaines qu’il faudrait chercher à dire la relation à Dieu et la relation qui est celle que Dieu entretient vis-à-vis de nous ? Pour ce faire, nous avons besoin des images qui expriment une certaine analogie entre ce qu’il nous est possible de croire au sujet de Dieu et notre expérience humaine, qui est aussi une expérience affective.

Nous devons cependant tenir compte du fait que le texte biblique est l’expression d’une culture et d’un monde qui ne sont plus les nôtres. Cette distance est particulièrement vraie en ce qui concerne notre conception de la nature et de son autonomie, et du rapport de Dieu à la nature : quelles que soient les circonstances, Dieu n’arrêtera pas pendant un moment et en notre faveur le cours du soleil autour de la terre, comme il l’aurait fait pour Josué, il ne refoulera pas par son souffle les eaux de la mer comme le raconte le récit de l’Exode, et il ne calmera pas brusquement les eaux déchaînées en tempête sur un lac, comme Jésus l’aurait fait selon le récit évangélique… Les images que nous utilisons et auxquelles nous faisons appel demandent à être davantage en consonance avec notre expérience du monde et de la nature, et notre culture.

Il est bon que nous continuions à utiliser des images, à nous appuyer sur les images de l’histoire de l’art chrétien qui nous parle (elles ne nous parlent pas toutes, au contraire), mais aussi de notre représentation mentale, de ce qui peut se dire ou se suggérer dans la poésie, ou indirectement dans certaines œuvres d’art contemporain qui ne font que suggérer. J’aime beaucoup les sculptures de Myriam Kahn, décédée il y a quelques années : elles sont porteuses d’une saveur d’évangile et tout en même temps, pour moi, elles suggèrent ce que Dieu est pour nous. De façon indirecte, elles évoquent la sollicitude de Dieu pour nous.

‒ un Dieu sensible au drames de l’existence : Terre de souffrance (8)

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‒ un Dieu plein de tendresse : Maternité (9)

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‒ un Dieu sensible à la simplicité du quotidien et qui s’en émerveille : Joueurs de billes (10)

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‒ un Dieu présent à la solitude et au désespoir : Tu n’es pas seul (11)

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‒ un Dieu de bonté et qui pardonne : Pardon (12).

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Si l’être humain, homme et femme, est image de Dieu, les différentes expressions de la sollicitude humaine, cet art de vivre peuvent évoquer pour nous la sollicitude de Dieu à notre égard, son art de vivre en rapport avec nous.

Prière

Seigneur, en parlant de toi,

nous parlons de ta bonté ou de ta tendresse,

de ta miséricorde et de ta puissance,

et à l’occasion de tes justes colères.

Nous pensons à toi à l’image de ce que nous sommes,

avec nos divers sentiments et comportement.

Toi, le Tout-Autre, ne te réduisons ainsi pas à notre image ?

Mais tu nous as dit que tu nous avais créés à ton image,

alors n’est-il pas normal que nous parlions de toi

à partir de notre propre expérience ?

Donne-nous cependant de ne pas t’enfermer

dans les images que nous nous faisons de toi,

et viens nous surprendre par ta manière d’être différent,

à la fois plus belle, plus riche, et plus mystérieuse.

Nous te le demandons par Jésus, notre Seigneur.

Intentions

Seigneur, au nom de l’image que nous nous sommes faite de toi,

notre Église s’est montrée intolérante pendant des siècles

et parfois violente :

aujourd’hui, donne-nous de découvrir chez les autres

des véritables richesses

et de pouvoir ainsi élargir nos horizons.

Seigneur, c’est en invoquant ton nom, Allah,

ce nom qui est commun à toutes les traditions de foi

dans le monde arabe,

que des minorités musulmanes idéologisées et radicalisées

promeuvent la violence et les actes terroristes,

révèle-leur ton véritable visage

et pardonne-leur.

Seigneur, c’est à partir de fausses images de ce que tu es en vérité,

que certains athées non seulement nient que tu existes,

mais condamnent toutes les religions

avec beaucoup d’intolérance,

fais que nous puissions davantage dialoguer,

chercher à nous comprendre les uns les autres

au profit du bien de tous,

dans une société de plus en plus marquée par la diversité des convictions.

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