Germaine Ligot, o.p.

Fraternité Laïque Dominicaine

Dominique Pire et Sainte Catherine de Sienne

5 Mai 2021

La sollicitude est mise en cause

Germaine Ligot, o.p.

Il faut changer l'escalier...

En cette neuvaine toute dédiée à la sollicitude, j‘aimerais partager avec vous ma réflexion que très prosaïquement j‘intitulerai „il faut changer l‘escalier...“

Si vous le voulez bien, je l‘articulerai en trois temps: la lettre de Jacques d‘abord, pour planter le décor, la métaphore de l‘escalier ensuite et enfin les dons de l‘Esprit.

J‘aime bien la lettre de Jacques, elle est courte, efficace, profonde et limpide à la fois.

Mes frères, à quoi cela sert-il à quelqu‘un de dire „J‘ai la Foi „s‘il ne le prouve pas par ses actes ? Cette Foi peut-elle le sauver ? Supposez qu‘un frère ou une sœur n‘aient pas de quoi se vêtir ni de quoi manger chaque jour. A quoi cela sert-il que vous leur disiez „Au revoir, portez-vous bien ; habillez-vous chaudement et mangez à votre faim“ si vous ne leur donnez pas ce qui est nécessaire pour vivre ? Il en est ainsi de la Foi :si elle ne se manifeste pas par des actes, elle n‘est qu‘une chose morte.

Voilà qui est dit, avec netteté, avec fermeté.

Si je ne fais pas quelque chose pour que l‘autre, non seulement survive, mais qu‘il vive, ma Foi est inutile, elle n‘est qu‘une chose dit Jacques et comme si ce n‘était pas assez, une chose morte. J‘aimerais dire une chose bonne à jeter !

Pour vous, pour moi, la charité, un mot que je n‘aime guère, je lui préfère la justice, n‘est pas une option, elle est prééminente. Et Jacques de poursuivre en effet : Montre-moi comment ta Foi peut exister sans actes ! Quant à moi, je te prouverai ma Foi par mes actes.

A ce terme, je pense, le décor est planté : il faut qu‘on s‘y mette, on n‘a pas le choix !

Un jour j‘étais allée à Liège avec une copine et au sortir de la gare de Liège Palais, il y avait un mendiant, assis par terre ( il est souvent là). Ma copine lui a donné une pièce ou l‘autre, moi, quelques cigarettes...et un peu plus loin elle m‘a fait la réflexion suivante : Le pauvre, dans l‘escalier de la vie, il a raté quelques marches… Un peu sèchement, je le reconnais, j‘ai répondu „mais l‘escalier est mal foutu“.

L‘escalier de la vie est mal foutu, je n‘en démords pas ; nous le connaissons vous et moi, depuis les années qu‘on le monte.

C‘est un escalier à vis, un escalier en colimaçon. A une extrémité, les marches sont profondes, faciles, à l‘autre extrémité, près de l‘axe, c‘est une autre affaire… Si vous êtes du côté extérieur, tant mieux, si vous êtes de l‘autre: pas de chance!

Soyons de bon compte, vous et moi, sans l‘avoir mérité, nous sommes plutôt du bon côté, mais les autres, ceux qui sont nés dans des pays de misère, dans des pays en guerre, dans des milieux précarisés l‘ont-ils mérité le mauvais côté? Pouvons-nous nous dédouaner en disant „ c‘est pas de chance“?

Dans cette montée, nous le savons bien, à tout moment, une marche peut se dérober, ça s‘appelle un accident, une maladie, une séparation qui se passe mal, une perte d‘emploi, des échecs scolaires à répétition et ça peut se cumuler.

Où sont-ils les paliers pour arrêter la dégringolade ? Où est-elle la rampe pour s‘y accrocher ?

Dans l‘escalier du monde, il y a foule, on se presse, on se bouscule… Il y a ceux qui montent „au plus haut et au plus vite“ et ça avance, ça trace comme on dit, et tant pis pour les autres : rien ne peut arrêter leur mirobolante ascension.

Vous en connaissez, moi aussi, le classement forbes des personnes les plus riches du monde en dresse d‘ailleurs le catalogue…

Et puis, il y a les précautionneux, certes, il faut être prudent, un accident est si vite arrivé, mais ils montent en regardant leurs pieds, exclusivement leurs pieds.

Vous en connaissez, moi aussi.

Je ne suis pas dans les „papiers“ de Dieu, je ne sais même pas s‘il en a d‘ailleurs, mais je lis les évangiles, je lis la lettre de Jacques, et, là, je vois ce qui se dessine: pas un escalier en colimaçon mais un escalier droit avec d‘un côté et de l‘autre des marches profondes, accessibles pour tous, un escalier avec des paliers tant pour récupérer de la montée que pour arrêter les chutes et enfin un escalier avec de part et d‘autre, du début à la fin, des rampes, des mains courantes, ou mieux encore des mains secourantes.

A ce terme, je repense à mon frère de Liège, assis par terre; je ne sais pas s‘il a raté des marches, mais je sais que l‘escalier du monde est mal fichu et je ne m‘y résigne pas.

A nous donc de nous mettre à l‘ouvrage, non seulement pour rattraper ceux qui tombent, mais pour changer l‘escalier et pour créer ainsi pour chacune et pour chacun les conditions d‘une vie et pas uniquement d‘une survie.

Ce n‘est pas une mince affaire!

J‘en arrive ainsi aux dons de l‘Esprit et là c‘est Isaïe qu‘il faut aller lire, au chapitre 11 quand il annonce la venue du Messie, le nouveau David : Un rameau sort du vieux tronc de Jessé, un rejeton pousse de ses racines. L‘Esprit est sans cesse avec lui, l‘Esprit de sagesse et de discernement, Esprit qui donne aptitude à décider et vaillance, l‘Esprit qui fait connaître le Seigneur et enseigne à l‘honorer…Honorer le Seigneur sera tout son plaisir, il ne jugera pas selon les apparences, il ne décidera rien d‘après les racontars. Mais il rendra justice aux défavorisés, il sera juste pour les pauvres du pays.

Il n‘est pas question ici de charité, il est question de justice, c‘est une autre affaire ! Et de justice pour qui ? Pour les pauvres et pour les défavorisés. Il y a un parti pris : celui des démunis, qui ne le sont d‘ailleurs que parce que d‘autres accumulent.

C‘est cinglant, mais cela a le mérite d‘être clair. Pas de sollicitude, pas de justice sans remise en cause…

Les dons de l‘Esprit, saint Ambroise et saint Thomas d‘Aquin s‘y sont attachés, je ne le ferai pas dès lors que ce n‘est pas mon talent et que cela excèdes mes capacités mais les termes de discernement, de sagesse, de vaillance, cela me dit quelque chose dès lors que je dois agir.

La lettre de Jacques ne nous a pas laissé le choix : il faut s‘y mettre…

Pour ce faire, nous avons besoin de discernement : où sont les urgences ? Dans quel ordre les prendre? Comment les régler de manière efficace c‘est- à-dire durablement et collectivement ?

Pour ce faire, nous avons besoin de sagesse : quels sont mes talents ? Où et comment serai-je la plus utile ?

Que nous soit donnée aussi la vaillance parce que le chantier est vaste mais pas impossible et que nos forces sont petites mais réelles…

L‘épitre de Jacques nous a lancé un ultimatum, Isaïe nous a proposé des outils, quant au plan de l‘ouvrage, il ne me sort jamais de l‘esprit que Jésus était, aussi, le fils d‘un charpentier…

Intentions

Seigneur, l‘année écoulée a vu s‘envoler la fortune de ceux qui sont déjà les plus riches de la terre, de même elle a vu se poursuivre le pillage éhonté et la dégradation de la nature, notre patrimoine commun, enfin le nombre des exclus et des précarisés, ici comme ailleurs, a augmenté.

Dès lors que ce monde là n‘est pas celui que nous voulons, Seigneur, donne-nous l‘intelligence et le discernement pour percevoir les enjeux, pour comprendre les mécanismes parfois subtils d‘enrichissement des uns au détriment des autres pour d‘abord que nous n‘y participions pas et qu‘ensuite nous tracions des chemins alternatifs porteurs de vie pour chacun.

Seigneur, nous te rendons grâce pour toutes celles et tous ceux qui se sont engagés hier et qui s‘engagent aujourd‘hui dans la voie du changement pour un monde plus juste.

Leurs actions, petites ou grandes sont pour nous autant d‘éveil de nos consciences, d‘appels à la vigilance et à l‘engagement lucide et décidé.

Pour toutes ces femmes, pour tous ces hommes de bonne volonté, Seigneur nous te prions.

Dans le chantier du monde nous sommes, toutes et tous, appelés à construire, chacun selon ses talents, donne-nous Seigneur, l‘humilité, la force, la vaillance et la ténacité des artisans.