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Mercredi 7 mai 2025

Croyants et athées, chercheurs de sens

Frère Ignace Berten, O.P.
Évangile de Luc (14, 13-24)

Jésus s’adressant aux gens qui l’entouraient leur dit « Quand tu donnes une réception, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; heureux seras-tu, parce qu’ils n’ont rien à te donner en retour : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »  En entendant parler Jésus, un des convives lui dit : « Heureux celui qui participera au repas dans le royaume de Dieu ! » Jésus lui dit : « Un homme donnait un grand dîner, et il avait invité beaucoup de monde. À l’heure du dîner, il envoya son serviteur dire aux invités : “Venez, tout est prêt.” Mais ils se mirent tous, unanimement, à s’excuser. Le premier lui dit : “J’ai acheté un champ, et je suis obligé d’aller le voir ; je t’en prie, excuse-moi.” Un autre dit : “J’ai acheté cinq paires de bœufs, et je pars les essayer ; je t’en prie, excuse-moi.” Un troisième dit : “Je viens de me marier, et c’est pourquoi je ne peux pas venir.” De retour, le serviteur rapporta ces paroles à son maître. Alors, pris de colère, le maître de maison dit à son serviteur : “Dépêche-toi d’aller sur les places et dans les rues de la ville ; les pauvres, les estropiés, les aveugles et les boiteux, amène-les ici.” Le serviteur revint lui dire : “Maître, ce que tu as ordonné est exécuté, et il reste encore de la place.” Le maître dit alors au serviteur : “Va sur les routes et dans les sentiers, et fais entrer les gens de force, afin que ma maison soit remplie. Car, je vous le dis, aucun de ces hommes qui avaient été invités ne goûtera de mon dîner.” »

Croyants et athées, chercheurs de sens

Cela fait bien longtemps déjà que nous ne vivons plus en chrétienté, c’est-à-dire dans une société plus ou moins encadrée par l’Église, une société comme celle du moyen âge où pratiquement tout le monde est religieux et tout le monde croit en Dieu, comme une évidence commune. Avec l’avènement de la science et du travail de la raison, à partir du 16e siècle, cette évidence commune est mise en cause, une minorité s’affirme athée.

Ni les évangiles, ni saint Paul ou les autres écrits du Nouveau Testament ne nous éclairent directement sur la question : quel doit être notre regard, notre attitude vis-à-vis des personnes qui se disent athées ? Les Psaumes 14 et 53 disent bien : « Les fous se disent : “il n’y a pas de Dieu !” ». En fait, ceux dont parlent ces psaumes ne prononcent pas réellement une affirmation athée, la phrase vise ceux qui font le mal comme s’il n’y avait pas de Dieu.

Aujourd’hui la culture est totalement éclatée. La foi commune de l’Église est devenue minoritaire. Ceux qui se disent non seulement catholiques, mais qui sont pratiquants plus ou moins réguliers de l’eucharistie sont devenus une petite minorité. Nombre de ceux qui se disent chrétiens ou catholiques n’adhèrent plus à la foi dans son expression traditionnelle. Pour nombre d’entre eux, Dieu est le Grand Tout, l’énergie vitale qui nous habite ; il n’est plus ce tu auquel on peut s’adresser dans la prière. Jésus est un sage parmi bien d’autres sages. Et il n’y a pas de résurrection des morts, ou pour certaines, il y a la réincarnation.

D’un autre côté, une certaine forme d’athéisme tel qu’il s’est affirmé au 19e siècle et dans la première moitié du 20e siècle, athéisme très affirmatif et militant, agressif, cette forme d’athéisme est lui aussi en déclin. On peut dire qu’aujourd’hui, il y a surtout un athéisme plus paisible.

Dans ce méli-mélo d’opinions multiples, comme croyants pour qui l’Évangile reste une référence majeure pour notre vie, pour qui aussi le témoignage de foi qui s’exprime dans la tradition de l’Église est important, comment nous situer ? Et plus particulièrement, quelle place faisons-nous dans notre compréhension de la foi à ceux qui se déclarent athées ?

Comme nous le savons, l’Église catholique n’a pas été tendre vis-à-vis de tous ceux et celles qui pensaient différemment : hérétiques et schismatiques, membre d’autres religions et bien sûr athées : tous voués à l’enfer… Le concile Vatican II nous a invités clairement à changer de regard : tous sont invités par Dieu à participer au salut.

Mais comment nous situer vis-à-vis de ceux qui se déclarent athées ?

Se déclarer athée aujourd’hui est un choix. Être athée, ce n’est pas seulement ne pas croire en Dieu, ne pas croire que Dieu existe, mais déclarer qu’il n’y a pas de Dieu. Les motifs d’une telle option peuvent être multiples. Une des raisons principales est la question du mal : s’il y avait vraiment un Dieu, un Dieu tout-puissant, il ne permettrait pas que les hommes s’entretuent dans des guerres ou que des enfant meurent prématurément. Et puis, il y a le Dieu de la Bible, en particulier tel qu’il apparaît dans certains récits particulièrement violents dans l’Ancien Testament : un Dieu qui paraît cruel et plus ou moins cynique. Pour certains, le Dieu du Nouveau Testament qui semble sacrifier son Fils n’est pas plus crédible. Certes, on peut répondre que, pour le croyant, les textes demandent interprétation, qu’il ne faut pas les lire au pied de la lettre. Mais il faut reconnaître qu’une telle argumentation ne permet pas de rencontrer réellement la personne athée. Pas plus d’ailleurs que les différents essais de preuve de l’existence de Dieu. Il y a une évidence, ces preuves n’ont jamais convaincu que ceux qui croient déjà…

Pour comprendre l’expérience athée et la façon d’y faire honnêtement place dans notre foi, il faut prendre un autre chemin.

Notre foi est de l’ordre de la conviction : je crois que Dieu existe. C’est-à-dire qu’au sens propre du terme, je ne le sais pas. Dieu dépasse le savoir. Je crois que Dieu existe, et je lui fais confiance. Il y a de bonnes raisons de croire que Dieu existe. Pour nous chrétiens, Jésus et l’Évangile sont déterminants dans notre chemin de foi. En faisant confiance à ce Dieu, si nous sommes honnêtes, nous cherchons aussi à vivre en cohérence avec notre foi. Il est toujours important de se rappeler l’affirmation de saint Jean dans sa première lettre : celui qui n’aime pas son frère ne connaît pas Dieu. Dieu n’est pas seulement une idée que nous affirmons vraie : il est une relation qui appelle à une certaine manière de vivre.

L’athéisme est lui aussi de l’ordre de la conviction. S’il n’y a pas de preuve de l’existence de Dieu, il n’y a pas non plus de preuve de sa non-existence. L’athée a lui aussi des raisons : il interprète certains événements ou le sens de certains écrits qui lui semblent contradictoires avec la possibilité de l’existence de Dieu. Par ailleurs, il peut ne faire confiance qu’au pouvoir de la raison et de la science, confiance qu’on peut sans doute considérer comme démesurée …

Il y a assez longtemps déjà, j’ai été invité à rencontrer un groupe de jeunes avec Leo Apostel, professeur de logique mathématique à l’université de Gand, athée déclaré. Le thème de la rencontre était le sens de la vie. Nous étions très proches sur des thèmes éthiques de société comme la justice, la solidarité, le souci des pauvres. À un moment un jeune nous pose la question : et la mort, et après ? Apostel répond clairement : Pour moi, après la mort, il n’y a rien parce qu’il n’y a pas de Dieu, et je pense que les croyants sont dans l’illusion quand ils croient qu’il y a une vie après la mort. Je lui réponds, que je crois que la mort n’est pas simplement la fin de notre vie, qu’il y a un don offert par Dieu, la résurrection. J’ajoute que je ne me sens pas blessé par le fait que lui pense que je suis dans l’illusion, mais que je pense aussi qu’il ne va pas au bout de ce que la vie a à nous offrir. Mais j’ajoute qu’il est bien possible que je sois dans l’illusion. Et il me répond : Oui, peut-être ; peut-être serai-je très étonné de vous retrouver après la mort.

Deux réflexions au sujet de cette expérience. Tout d’abord, il faut un climat de très grande confiance mutuelle pour avoir un tel dialogue tout à fait respectueux de l’autre. Mais ensuite et surtout il y a ceci. Lui, athée, et moi, croyant, nous partageons en commun quelque chose de tout à fait fondamental qui permet de nous rencontrer. Tous les deux, nous avons une conviction forte : je crois vraiment qu’il y a un Dieu et qu’il nous promet la résurrection ; lui croit vraiment qu’il n’y a pas de Dieu et qu’il n’y a rien après la mort. L’un et l’autre nous sommes habités par une conviction, que nous cherchons à vivre de façon cohérente, mais cette conviction est une forme de foi. C’est-à-dire que la foi, pour l’un et l’autre, est aussi habitée par un doute : il se pourrait bien que je me trompe, mais ma foi, croyante ou athée, traverse ce doute et l’assume, et il en va de même pour lui. Ce qui nous permet de nous rejoindre est précisément cet espace de doute assumé, espace qui est aussi recherche de sens et de vérité, dans la conviction que nous ne possédons pas la vérité, qu’elle nous dépasse toujours. Ce qui par contre empêche tout dialogue est de part et d’autre une forme d’intégrisme, la conviction que toute la vérité est de son propre côté et toute l’erreur de l’autre côté.

Du côté chrétien, la conviction de posséder la vérité à l’exclusion de l’autre a conduit dans l’histoire à l’inquisition et à la guerre de religions, mais aussi à l’intransigeance doctrinale qui s’est opposée à la modernité et à la science critique, ce dont ont souffert beaucoup de théologiens dans la première moitié du siècle dernier.

À l’inverse, un athéisme scientiste et positiviste militant, pour lequel seules la science et la raison valent, a conduit à la volonté d’exclure totalement la religion de la société : le communisme stalinien en a été une expression, tout autant qu’en France une certaine idée de la laïcité au début du siècle dernier, L’expulsion des religieux en a été une expression.

Aujourd’hui, alors que les repères communs se sont largement effondrés, alors que les références morales ne sont plus évidentes, alors que la société est de plus en plus éclatée et qu’une certaine présence de l’islam inquiète, les replis identitaires menacent le tissu commun de la société : on affirme son identité en tant que différente des autres de façon plus rigide et plus visible. C’est vrai parmi les musulmans, ce l’est aussi parmi les chrétiens, mais également, pour une part, au sein d’une certaine frange de la franc-maçonnerie.

La rencontre de la personne athée dans le dialogue interpersonnel, mais plus généralement par et à travers les écrits nous provoque à aller plus loin dans notre propre expérience de foi.

Face à la mort d’un enfant à cause d’une brutale maladie, face à la situation de l’homme qui a beaucoup et durement travaillé et qui enfin atteint la retraite et espère en jouir avec sa famille, et qui quelques mois plus tard est foudroyé par un cancer, on dit facilement : ce n’est pas juste. Cet enfant n’avait-il donc pas le droit de vivre ? Cet homme n’avait-il pas aussi un certain droit à un temps de retraite heureuse ?

Qu’y a-t-il derrière cette expression : ce n’est pas juste ? Y a-t-il dans l’univers un ordre qui devrait être juste ? Ces mots disent le sentiment et la représentation plus ou moins inconsciente qu’une sorte de puissance gère les choses et qu’elle devrait être juste dans sa gestion. D’une manière ou d’une autre, cette puissance est identifiée à Dieu. Des expressions signifient cela : mais qu’ai-je fait au Bon Dieu pour mériter un tel sort ? Ou encore, de la part de la personne croyante : c’est la volonté de Dieu, et lui sait mieux que nous.

L’athée met en cause l’existence d’un tel Dieu maître absolu de toute chose et dont la volonté incompréhensible s’impose à nous. Kant, le grand philosophe allemand du 18e siècle, qui était croyant, écrit qu’Abraham à qui Dieu demande de sacrifier son fils Isaac aurait dû lui répondre: « Je suis sûr que je ne dois pas tuer mon cher fils, mais je ne suis pas sûr que toi qui m’apparais en ce moment tu sois vraiment Dieu. »

On peut dire que dans sa contestation de l’existence de Dieu, l’athée nous provoque à quitter l’image d’un Dieu tout-puissant qui gère toute chose, cette image qui est une sorte d’idole devant laquelle l’homme devrait capituler dans sa liberté et sa responsabilité, une idole qui nous donnerait une explication de toute chose en appelant à notre soumission.

Dans le livre de Job, on voit cet homme puissant, heureux avec toute sa famille, juste et pieux. Satan parie avec Dieu que s’il le prive de tout et l’atteint au plus profonde de sa santé, il finira par maudire Dieu. Ses amis, viennent pour le consoler, mais ils l’accusent : si cela t’arrive ainsi c’est que, de façon cachée, tu as gravement péché et que c’est le châtiment que tu mérites. Ces amis sont clairement l’expression de cet image d’un ordre cohérent et qui doit être juste. Job proteste. Non seulement il proteste, mais il en vient à accuser Dieu. Dieu intervient et déclare que c’est lui, Job, qui est le juste. Et Dieu s’adresse à Job et lui demande : Où étais-tu donc quand j’ai créé cet univers ? Dieu ne veut pas humilier Job, mais lui faire comprendre qu’il est un mystère qui nous dépasse, et que Job doit accepter de vivre sans avoir d’explication de son malheur, mais croire vraiment et librement en Dieu, pour rien, c’est-à-dire sans que rien ne lui soit dû, ce qui l’ouvre à la vie.

L’athée peut nous aider, dans sa contestation, à purifier notre idée de Dieu et à oser la confiance de la foi au-delà de toute explication, à oser cette confiance libératrice du vouloir définir Dieu de quelque manière. En ce sens, l’athée nous renvoie à l’expérience des grands mystiques qui, comme maître Eckhart, Jean de la Croix, Thérèse d’Avila ou Thérèse de Lisieux, nous invitent à un certain silence devant Dieu.

Pour nous croyants, il importe d’ouvrir un regard bienveillant sur l’autre, et parmi les autres les athées. Le concile Vatican II nous a clairement invité à cet esprit d’ouverture : tous trouvent leur place dans le projet de salut de Dieu.

Deux textes d’évangile peuvent nous inspirer et ouvrir notre regard.

Dans l’évangile de Matthieu le grand récit du jugement dernier au chapitre 25 est très clair à cet égard. Le Fils de l’homme invite tous les bénis de son Père, qui ont donné à manger à ceux qui ont faim, donné à boire à ceux qui ont soif, ont accueilli les étrangers, se sont souciés de ceux qui sont en prison ; et il rejette tous ceux qui ne l’ont pas fait. Les uns et les autres posent la question : mais quand ne t’avons-nous donc pas reconnu ? Le Fils de l’homme répond : ce que vous avez fait ou pas fait, c’est à moi que vous l’avez fait ou pas fait. Pour nous croyants, il y a un rapport réel à Dieu, conscient ou inconscient, qui est déterminé par la pratique de l’amour du prochain. Dans notre réflexion sur notre relation aux athées, nous pouvons dire : nous croyons que Dieu est présent parmi nous, le plus important cependant n’est pas de le reconnaître, mais de pratiquer concrètement l’amour du prochain, l’amour de l’autre, quel qu’il soit.

Le texte de la parabole du festin dans l’évangile de Luc, que j’ai choisi pour cette célébration, est aussi éclairant. Jésus met en cause ceux dont le comportement est dicté par leur intérêt immédiat, intérêt matériel des affaires et de l’argent, pour ouvrir l’accueil aux tout venant, ceux qui trainent dans les rues. Les premiers sont les invités du roi, les invités de Dieu : ils se savent invités, ils se savent croyants, mais dans le quotidien de leur pratique, ils ne répondent pas à cette invitation, ils n’ont souci que d’eux-mêmes. Et il y a tous les autres, ceux de la rue pour qui le roi est bien lointain et qui ne sont pas concernés, mais voici qu’ils sont invités.

À l’ouverture des Journées mondiales de la jeunesse à Lisbonne, le 3 août 2023, le pape François s’est adressé aux jeunes en ces termes, en se référant précisément à cette parabole : « Chers amis, je voudrais être clair avec vous qui êtes allergiques aux mensonges et aux paroles creuses : il y a de la place pour tout le monde dans l’Eglise, pour tout le monde !  Personne n’est inutile, personne n’est superflu, il y a de la place pour tout le monde. Tel que nous sommes, tout le monde. Et Jésus le dit clairement quand il envoie les apôtres inviter au banquet de cet homme qui l’avait préparé, il dit : “Allez chercher tout le monde, jeunes et vieux, bien portants et malades, justes et pécheurs : tous, tous, tous”. Dans l’Eglise, il y a de la place pour tous. »

Cette Église rêvée et promue par François est image du Royaume de Dieu que nous espérons, image du regard et de l’accueil de Dieu, cet accueil auquel nous sommes aussi appelés dans nos relations à ceux qui ont des convictions différentes, et parmi eux le athées.

Ignace Berten, OP

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