


Fraternité Laïque Dominicaine
Dominique Pire et Sainte Catherine de Sienne

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« L’autre qu’est la nature », vous vous demandez sans doute ce que vient faire ce sujet dans une neuvaine ayant pour thème :
« Le vivre-ensemble en danger Vivre la différence, vive la différence »
Et pourtant !
Dans un premier temps, je rappellerai que nous avons tendance à nous croire autres que la nature, et même supérieurs, ce qui menace notre maison commune et détruit même petit à petit tout ce y qui vit.
Dans un second temps, je montrerai qu’en fait, nous sommes profondément reliés avec tout ce qui existe. Tout d’abord, parce que nous sommes le produit de l’univers. Ensuite, parce que comme le lys des champs et les oiseaux du ciel, nous bénéficions tous d’un même souffle d’amour, source de bonté et de beauté.
Enfin, je terminerai en soulignant que si nous sommes uns et devons soigner notre vivre-ensemble avec les autres vivants, nous devons reconnaître aussi que nous en sommes différents et devons apprendre à mieux nous connaître pour réussir à cohabiter harmonieusement.
1.Dans un premier temps, rappelons-nous comment nous nous situons aujourd’hui par rapport à la nature.
Partons, si vous le voulez bien, de ce que vit Arthur, 18 ans (c’est évidemment un exemple). Après avoir joué à un jeu vidéo sur son portable, il regarde une série à la TV tout en consultant les messages de ses amis et avalant distraitement un hamburger. En vacances avec sa famille dans le sud de la France, il découvre - peuchère - que les saucisses du barbecue proviennent des cochons enfermés dans cette étable voisine. Plus sérieusement, il apprend que les loups qui menacent les troupeaux de moutons sont très difficiles à apercevoir car en fait, ils ont peur des humains : il faut une caméra infra-rouge pour les observer la nuit.
Oui, pour nous occidentaux, la nature, la terre, c’est quelque chose d’autre, quelque chose d’extérieur à nous. Un monde que l’on connaît d’ailleurs de moins en moins, étant sans cesse plongé dans ce monde virtuel de la société digitale. Et pour désigner la nature, les animaux et les oiseaux, les forêts, le sol et l’eau, les pierres et le ciel, ne parle-t-on pas d’environnement, cad ce qui nous entoure, nous étant le centre du monde?
Pas étonnant alors que nous avons réduit la nature à un stock de ressources, un gisement de matières premières, un réservoir de nourriture ou … de molécules pharmaceutiques, à exploiter et consommer, plus ou moins intelligemment et judicieusement, selon notre degré d’avidité ou de sagesse. Nous avons tendance à mettre la nature au service de nos besoins et désirs.
On le sait, quelques passages célèbres du livre de la Genèse ont peut-être nourri cette attitude : Dieu aurait dit à l’homme: « Soyez féconds, emplissez la terre et dominez-la, soumettez les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur la terre » (Gn 1, 26-28). On verra plus tard que d’autres passages de la Genèse relativisent cette conception.
Nous le savons tous, et le pape François l’avait vigoureusement dénoncé dans son encyclique Laudato Si : cela a produit et continue de produire ce qu’il faut bien appeler une lente destruction de la nature, notre maison commune, commune à tous les humains, mais commune aussi aux humains et aux non humains. Songeons au climat de plus en plus profondément déréglé, à la pollution insidieuse des sols, de l’eau, de l’air, de la mer, à la sixième extinction massive des espèces. Combien d’oiseaux ont disparu, faute d’insectes à se mettre sous la dent: avez-vous remarqué qu’il n’y a plus d’insectes sur le pare-brise de nos voitures lorsque nous roulons sur autoroute? Si rien ne change, l’espèce humaine elle aussi pourrait disparaitre, empoisonnée par ses propres déchets et rejets, victime des dérèglements qu’elle a provoqués.
Tout ceci est profondément lié à notre culture depuis que nous avons cessé d’être de simples cueilleurs chasseurs nomades. Et cette vision dualiste s’est accélérée avec l’avènement de la science expérimentale qui considère la nature comme un espace peuplé de simples objets. La révolution industrielle au 19ème siècle n’a fait qu’amplifier le processus, traitant la nature comme un stock de matière premières gratuites dont on fait un business : songez aux semences que certaines firmes veulent maintenant breveter. Et la société de consommation du 20ème siècle, celle du toujours plus et du prêt à jeter l’a encore aggravé.
Nous ne pouvons donc pas en sortir si nous nous contentons de trier les déchets ou d’éteindre les lampes inutiles, si nous nous contentons de remplacer notre voiture à l’essence par une voiture électrique, en restant scotchés aux pouvoirs exponentiels de la technoscience. Comme le soulignait le pape François dans Laudato Si, tous ces gestes sont bien sûr utiles et nécessaires mais cela ne suffira pas si nous ne revisitons pas en profondeur notre rapport à la nature, à la terre, aux autres vivants.
2.Nous avons donc maintenant à sortir de cette impasse et percevoir que nous ne sommes qu’uns avec la nature. C’est la deuxième partie de mon intervention.
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Pour sortir de cette impasse, un premier pas serait de reconnaître humblement que comme le reste de la nature, nous sommes composés d’eau, de minéraux, de bactéries, de chair. Nous sommes le produit de cette incroyable évolution qu’ont connue l’univers et ses étoiles, la planète terre et les volcans ou océans, les premières bactéries et autres formes primitives de vie, les plantes, puis les poissons, puis les oiseaux, enfin les mammifères et les primates sociaux comme le bonobo et nous.
Nous avons en grande partie le même ADN que les mollusques ou les oiseaux. Il y a tant de similitudes anatomiques et physiologiques entre l’homme et le porc qu’on en greffe certains organes pour soigner les humains. Comme nous, les animaux sont des êtres sensibles, capables de ressentir des émotions. Les vaches réagissent elles aussi à une belle musique. Quand ils perdent un petit, les éléphants d’Asie creusent un trou et l’y enterrent, en émettant des sons bruyants comme s’ils pleuraient!
En fait, les animaux et nous les humains avons beaucoup de similitudes: faire le paon, s’engager dans un combat de coqs,... Et on le découvre un peu plus chaque jour. Oui, d’un point de vue scientifique, toute la nature est présente en nous. Nous n’en sommes pas fondamentalement différents.
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Pour sortir de cette impasse, nous pouvons encore aller plus loin et comme le poète, nous émerveiller, nous émerveiller devant l’incroyable beauté, harmonie, générosité de la terre, la nature, les vivants, l’homme. Nous extasier devant la prodigieuse inventivité et diversité de l’univers. Pourquoi une brume cache-t-elle la cime des collines et montagnes quand le soleil se lève? Pourquoi des gouttelettes de rosée font-elles comme des perles dans les toiles d’araignée? Pourquoi y-a-t-il une telle profusion de couleurs et de formes dans les fleurs? Pourquoi y-a-t-il de si beaux chants chez les oiseaux? Pourquoi tout est-il recyclé ou réutilisé si astucieusement?
Grâce à la science, bien sûr, nous pouvons expliquer de plus en plus finement comment ces phénomènes naturels sont apparus, comment l’univers et les astres sont nés, comment les organismes ont évolué en s’adaptant au milieu dont ils faisaient partie, comment l’humidité du sol se transforme en brume au sortir de la nuit, etc.
Mais pourquoi est-ce ainsi ? Pourquoi est-ce avec une telle prodigalité, inventivité, avec une telle beauté, une telle bonté ? Et en vue de quoi ? Quelle intention semble animer tous ces processus ?
- En admirant comme Jésus la prodigieuse beauté du lys des champs :
« Salomon lui-même dans toute sa gloire n’a jamais été vêtu comme l’un d’eux », en nous émerveillant devant la sollicitude dont bénéficient les oiseaux : « ils ne sèment ni ne moissonnent ; et votre Père céleste les nourrit », nous pourrions soupçonner que tout dans l’univers bénéficie d’une immense sollicitude et bienveillance.
Comme lui, nous pourrions percevoir un souffle de bonté et de beauté reliant tous les êtres entre eux, dans des interrelations et interdépendances inimaginables, prenant soin de la nature, aussi bien que de notre histoire et notre être.
Nous nous sentons tout petits devant cette énergie d’amour. Et pourtant nous pouvons aller jusqu’à lui parler, dire que nous l’aimons, mettons notre confiance en elle, la remercions avec gratitude. Pourquoi nous inquiéter du lendemain ? Dans le langage biblique, c’est reconnaître que nous et l’univers sommes la création d’un Plus grand que tout, d’un « Seigneur et Maître de l’univers ». Nous utilisons aussi le mot Dieu, et même celui de «Père ». Ces mots sont des images pour désigner ce qui nous dépasse absolument : l’Eternel qui nous accompagne pas après pas et qui très discrètement nous donne toujours ce qu’il faut au moment où il le faut.
Les psaumes aussi chantent cette présence au jour le jour. Ecoutons-en quelques passages, en prenant soin de nous détacher du sens littéral: « Les cieux racontent la gloire de Dieu, le firmament l’oeuvre de ses mains » dit par exemple le psaume 19. De son côté, le psaume 103 s’exclame: « Quelle profusion dans tes œuvres, Seigneur! Tout cela, ta sagesse l’a fait ; la terre s’emplit de tes biens… Tu envoies ton souffle, ils sont crées ; tu renouvelles la face de la terre … Je veux chanter au Seigneur tant que je vis ».
Evidemment, rien ne peut démontrer cette intention d’amour, de bonté, de beauté ; ni la raison ni l’expérimentation. Mais c’est une grâce de pouvoir s’y ouvrir petit à petit, dans le silence du coeur, la profondeur de notre être. Pour certains, plus rares, c’est à partir d’une expérience spirituelle forte et imprévue, une nuit de feu, un éblouissement, comme Jésus au Jourdain, qu’il faut prendre le temps de digérer.
C’est un bonheur, une joie d’en vivre et d’en partager des étincelles autour de nous. Vous aurez compris qu’il ne s’agit pas d’une simple croyance, peut-être intéressante pour notre intellect ou notre sécurité mais pas vraiment essentielle pour notre vie. En effet, percevoir une force d’amour à l’oeuvre chaque jour dans l’univers et lui faire confiance, c’est accepter de nous y relier, être guidé par elle, et comme Jésus, la répandre partout autour de nous.
En conclusion de cette seconde partie, nous pouvons dire que nous sommes profondément reliés avec le reste de l’univers, nous ne faisons qu’un avec la nature. On comprend que François d’Assise appelait frère ou sœur les créatures qu’il rencontrait, qu’il leur parlait avec tendresse, que ce soit une fleur, une souris ou le loup de Gubio.
3.Mais il s’agit d’une unité dans la différence ; c’est sur quoi je voudrais insister en terminant.
Nous sommes un avec l’univers, avec toute la nature, et pourtant, nous les humains, nous sommes quelque peu différents. En effet, nous sommes comme un pont entre la terre et le ciel, capables d’entrevoir le souffle bienveillant qui nous anime et anime l’univers, de lui parler. De plus, si Dieu fait « germer du sol tout arbre d’aspect attrayant et bon à manger », dit le livre de la Genèse, il nous charge également de le « garder et cultiver», c.a.d. nous comporter comme de bons jardiniers, de manière responsable, en en prenant bien soin.
Dès lors, nous sommes invités à changer notre regard. Or, les relations que nous avons avec la nature ne sont pas si différentes de celle que nous avons avec nos frères humains. Ne soyons pas étonnés que Trump lance une exploitation minière des fonds marins en même temps qu’il expulse les migrants sans papier. Comme le disait le pape François, « Tout est lié », « Nous avons à écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ». Aussi bien le cri de détresse de la ceinture de corail qui blanchit sour l’effet du réchauffement climatique que celui des pauvres et des pays pauvres qui en souffrent le plus parmi les humains.
Dans sa lettre aux Colossiens, Paul demandait « revêtez des sentiments de compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience » (3,12). Cela vaut bien sûr pour nos frères humains, mais aussi pour tous les êtres vivants qui habitent la terre.
Avec compassion et bienveillance, nous avons à les respecter, les protéger, préserver leur habitat, leurs possibilités de vivre. Eviter par exemple que les poissons ou les ours polaires soient pollués par les produits chimiques ou les micro- plastiques que nous laissons se déverser dans l’océan.
Avec humilité et patience, nous devons reconnaître aussi que les plantes, les fleurs et les arbres, les insectes, les oiseaux, les poissons, les animaux vivent leur existence autrement que nous, ont des manières de vivre très spécifiques. « Sais-tu quand les bouquetins font leurs petits ? As-tu observé les biches en travail, lorsqu’elles mettent bas leurs petits » est-il mis dans la bouche de Dieu dans le livre de Job (39). Autrement dit, crois-tu que tu sais tout de tes sœurs bouquetins ou biches ? Peux-tu cesser d’être un « Monsieur je sais tout » ?
Car tout sur terre mérite le respect, dit encore le livre de Job. Y compris ce qui, comme l’âne sauvage, échappe complètement à la maîtrise de l’homme. Y compris ce qui semble manquer de sagesse, comme par exemple (je cite) « l'autruche (qui) abandonne ses oeufs à la terre, Et les fait chauffer sur la poussière; Elle oublie qu’un pied peut les écraser, Qu'une bête des champs peut les fouler.»
Arrêtons de projeter nos façons de vivre, qu’il s’agisse de domination ou de cruauté, qu’il s’agisse même d’entraide. Comme le répète Vinciane Despret de l’université de Liège, arrêtons de prêter aux oiseaux l’intention de défendre leur territoire, arrêtons de leur attribuer des manières de vivre typiquement humaines, inventons d’autres mots pour traduire leurs comportements.
L’éthologie est cette science qui analyse les comportements individuels et sociaux de chaque espèce animale : communiquer avec les congénères, lancer une alerte, chercher sa nourriture, etc. Comme le montre le philosophe Baptiste Morizot, cette observation peut aussi nous aider à améliorer la cohabitation avec certaines espèces sauvages.
Voyons par exemple celle entre les moutons et le loup.
Alors qu’elle vivait dans des endroits escarpés difficiles d’accès, une espèce sauvage de montagne, les mouflons, a été domestiquée par l’homme qui l’a habituée à se rassembler dans des zones planes. Les brebis sélectionnées par lui sont devenues grégaires et peureuses, dépendantes du berger qui les accompagne jour et nuit pour trouver l’endroit où brouter ou bien boire, ou encore être défendues.
Chez le loup, figurez-vous que c’est la fuite qui encourage, qui stimule l’attaque d’une proie. Habituellement, il chasse un gibier intelligent qui comme le cerf, lui échappe souvent. Mais ayant découvert les brebis, il se rend compte que c’est une proie beaucoup plus facile quand il a faim. Qu’il surgisse et montre ses crocs, voilà que les brebis effrayées fuient dans tous les sens ; et le loup saute sur elles, en en massacrant beaucoup plus qu’il n’en mange. Ne lançons donc pas trop vite des condamnations du style : « il est cruel et tue par plaisir, par sadisme ». A d’autres moments, en pleine nuit, on a observé un loup trottant paisiblement le long d’un troupeau qui ne s’en émeut pas le moindre du monde.
C’est pourquoi nous avons tout intérêt à observer et comprendre de mieux en mieux les comportements, habitudes et réflexes du loup si nous voulons cohabiter de façon aussi harmonieuse que possible avec lui.
Des exemples nous y encouragent. Dans les forêts du Bengale où sévit le tigre mangeur d’hommes, les habitants ont observé que celui-ci attaquait essentiellement de dos. Les travailleurs forestiers ont alors eu l’idée de porter un masque qui leur dessine des yeux derrière la tête : pendant tout un temps, cette ruse a dissuadé les tigres de s’en prendre à eux. Comme quoi l’homme a intérêt d’user aussi de diplomatie.
Que retenir en fin de compte ?
Je pourrais me résumer en insistant sur le fait que nous les humains devons cesser de nous croire complètement autres que la nature, et bien entendu supérieurs. Cela conduit aux pires catastrophes.
Admettons modestement que nous faisons complètement partie de l’univers. Et si c’est possible pour nous, reconnaissons aussi que comme tout ce qui s’y déploie et y vit, nous sommes le fruit d’un souffle d’amour plein de sollicitude, autrement dit, dans le langage biblique, des créatures de Dieu.
Dès lors, tâchons de respecter aussi les non humains, les autres vivants, en les protégeant mais en acceptant aussi avec humilité et patience que nous devons encore beaucoup apprendre de leurs propres manières de vivre si nous voulons réussir à cohabiter harmonieusement.
Jean-Pierre Binamé, o.p.