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Samedi 3 mai 2025

« Contre ou rencontre ? »

Myriam Tonus, o.p.

Frères et Sœurs,

 

« Si je diffère de toi, loin de te léser, je t'augmente. La différence est une richesse cachée dans la diversité. Les contraires s'accordent et la discordance créé la plus belle harmonie. »  Voilà de belles phrases, qui donnent à réfléchir, bien choisies (allez-vous penser) pour ouvrir une Neuvaine consacrée à la différence…

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Eh bien non. Oublions tout de suite ces phrases. Faisons comme si nous ne les avions jamais lues sur FaceBook ni entendues dans une homélie.

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Pourquoi ? Parce qu’elles sont l’énoncé de convictions. De belles convictions, dans aucun doute, mais des convictions en forme de vérités morales, d’évidences rassurantes. Or, la réalité humaine vécue au quotidien n’a rien de rassurant – sauf à se cacher les yeux et boucher les oreilles. Comment pourrions-nous célébrer les  « beautés de la différence » alors que partout sur la terre et même près de nous, les humains ne cessent de se faire la guerre, de se battre, de s’invectiver, de se chercher querelle… précisément parce qu’ils sont différents et n’arrivent pas à s’entendre ?

 

Non, a priori, la différence n’a rien de rassurant. Au contraire, elle fait se lever au minimum une forme de retenue, ou de méfiance, et elle peut s’exacerber jusqu’au rejet violent. En grec, le même mot xenos désigne l’hôte et l’étranger. En latin, deux mots ont une racine commune : hospes et hostis  Hospes signifie « hôte » et hostis, l’ennemi… Hospes a donné en français hôpital, hospitalité, hôtellerie, hospice – des lieux d’accueils et de soin. Hostis  a donné hostile, hostilité... et hostie, l’offrande faite à Dieu pour expier. Une lettre, une simple petite lettre de différence peut faire basculer de l’accueil au rejet. Trois autres lettres peuvent aussi nous amener d’une position « contre »… à la rencontre.

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Ces subtilités de langue n’ont rien d’innocent. Elles expriment à leur manière la tension permanente qui se cache dans les profondeurs de l’être humain. L’humain qui a tellement besoin des autres pour grandir… et qui voudrait être seul en son genre. Le mot français « hôte » exprime ce paradoxe, puisque l’hôte, dans notre langue, c’est à la fois celui/celle qui reçoit, qui accueille… et celui/celle qui est reçu·e ! Je suis l’hôte de mon hôte – dans les deux sens. Mais je suis et il ou elle est… autre. Vous commencez à comprendre pourquoi les phrases  du genre « La richesse est dans la différence » ne sont audibles qu’au terme d’une sérieuse réflexion, qui demande du temps et de l’humilité. Cette phrase – la richesse est dans la différence – est la réflexion d’un généticien, Albert Jacquard, au terme d’une vie consacrée à la recherche scientifique qui l’a mené à ce constat et à écrire plusieurs livres sur le sujet. Rien à voir avec un post bien gentil balancé sur FB… Consacrer une Neuvaine au sujet est aujourd’hui une œuvre d’utilité publique !

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Car enfin, si l’on ne veut pas se contenter de belles idées, d’horizons qui font rêver et de généreux idéaux – toutes choses très nobles, mais qui sont généralement impuissantes à améliorer une situations réelles –, il nous faut oser regarder la réalité – notre réalité – en face. Les discriminations entre humains, fondées sur les différences, ont existé depuis l’aube de l’humanité. Et l’on pouvait espérer, depuis 2e moitié du 20e sc., en avoir terminé avec l’esclavage, le racisme, la stigmatisation des minorités et autres traitements que les humains ont l’art d’inventer pour faire le tri entre eux. « Plus jamais ça ! », criait-on.

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Et voilà que ça revient. Chez nous, dans cet Occident devenu donneur de mauvaises leçons. Tous nos maux (ou supposés tels) viennent de l’autre.  L’ennemi, c’est l’étranger venu demander l’hospitalité ; c’est le chômeur qui ne comprend décidément rien à la logique capitaliste. Et puis, tout de même, il faut se situer ! On est pour ou on est contre, pas de nuance ni de demi-mesure ! On est actif ou l’on est profiteur ; on est de gauche ou de droite ; on aime les films d’auteur ou les séries télé. C’est comme ci ou comme ça, c'est-à-dire dans le clivage fondé sur une différence essentielle. Et même nous, qui voulons promouvoir un idéal de différences acceptées, sommes-nous prêts à dialoguer avec des fans de Donald Trump, des homophobes ou des femmes qui estiment que leur place est à la cuisine (ça revient aussi…) ?

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Oui, mais ça, ce sont des cas spéciaux, disent certains. C’est en partie exact. Et comme le disait William James, l’un des pères de la psychologie, « Il y a peu de différence entre un humain et un autre, mais c'est cette différence qui est tout » et quelquefois, c’est cette différence qui peut faire basculer de la raison à la folie, de la démocratie au fascisme, de la vérité au mensonge. Hitler était un humain comme les autres, mais c’est sa différence – à lui et à ses suppôts – qui a prouvé que le Mal absolu existait.

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Plus près de nous, la visite du pape à Louvain-la-Neuve a été le consternant exemple d’un dialogue de sourds… D’un non-dialogue, en fait. De part et d’autre. Qui a montré que l’autre différent ne m’est supportable… que lorsqu’il a avec moi, tout de même,  quelque ressemblance, quelque consonance… Constat : il nous faut balayer devant notre porte avant de vouloir passer l’aspirateur dans le monde.

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Et Dieu, dans tout ça ?, vous demandez-vous peut-être… Ne vous inquiétez pas, il est toujours présent lorsque l’on parle des humains, ses enfants. Et sa Parole, elle non plus, n’est pas là pour nous caresser dans le sens du poil, nous donner des réponses toutes faites, prêtes à digérer et à ressasser. Sa Parole est un glaive qui tranche dans nos nœuds, qui met au jour nos recoins les plus obscurs. Tout cela pour que nous devenions de vrais vivants et vivantes…

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Nous avons écouté ce passage de l’Évangile où Jésus a quitté sa région familière pour aller à Tyr, au Nord d’Israël. Il est donc dans un espace païen et la femme qui vient lui parler est, elle aussi, un non-Juive. Elle n’a même pas de nom, juste son origine doublement étrangère : grecque, d’origine syrophénicienne. Voilà planté le décor d’une rencontre qui est lourde de tensions ! Ce que demande la femme, c’est la guérison de sa fille, car la réputation de Jésus le précédait, au point qu’il était entré dans une maison, et il ne voulait pas qu’on le sache. Essayons, juste un moment, d’effacer de notre mémoire tout ce que nous savons de cette histoire. Entendons-là comme si s’était la première fois.

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Il lui disait : « Laisse d’abord les enfants se rassasier, car il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ». Aux petits chiens… Sans doute le mot nous fait-il immédiatement songer à la gourmandise de nos charmants animaux de compagnie. Mais non ! « Chien » est bien ce terme très dur, à la limite de l’injure, que les Juifs utilisaient pour désigner les païens.

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Franchement, ce n’est pas à cela que nous nous attendons de la part de ce Jésus que nous disons compatissant, ami de tous, surtout des plus affligés ! La réaction spontanée de l’homme Jésus est pourtant tout à fait naturelle : il marque sans ménagement la différence entre lui, le Juif croyant, et cette païenne à qui, estime-t-il, il ne doit rien, puisque le Salut annoncé par Dieu est pour le peuple élu et lui seul. Mais voilà : la femme va utiliser cette différence et la retourner à son avantage. Elle est habile, elle a l’esprit de répartie et sans démentir Jésus, remarquons-le, elle l’amène à la regarder, elle, autrement. Jésus se plaçait sur le plan des principes religieux, elle l’amène, sans violence, à voir en elle autre chose que sa différence : sa foi.

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Et cela change tout. Pas de geste, pas d’explication, pas de récit miraculeux. À cause de cette parole, va : le démon est sorti de ta fille. Or, qu’a dit la femme ? Habitée par l’espérance de guérison de sa fille, elle a inversé la logique qui guidait la réponse de Jésus. Elle a brisé la logique de la différence qui éloigne pour montrer ce qui, dans la réalité humaine, peut finir par rapprocher. Oui, bien sûr, il faut se préoccuper d’abord des enfants – elle, la mère, le sait mieux que personne ! Mais cela n’empêche pas que même les petits chiens puissent y trouver leur compte. Oui, les Juifs sont le peuple élu, mais cela n’empêche pas que les païens puissent se nourrir au moins des miettes qui ne manqueront pas de tomber de la table… Et c’est cette parole, prononcée par une « double différente » – une femme, païenne – qui amène Jésus à faire de cette « ennemie » une collaboratrice de la guérison («  à cause de cette parole »). Même une païenne peut être instrument du salut de Dieu. L’ouverture aux païens deviendra essentielle après la résurrection de Jésus.

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Si j’ai choisi ce passage de l’Évangile pour ouvrir la Neuvaine, c’est que je ne peux m’empêcher, à la suite de bien d’autres, d’y voir un moment important dans la vie et la mission de Jésus. Jusque là, il était dans son pays, il prêchait, il opérait des signes, mais il était déjà dans une rude tension entre son annonce et la pratique des responsables religieux. « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi », constatait-il en citant le prophète Esaïe. Et c’est précisément après une querelle portant sur les aliments (purs ou impurs ?) qu’il décide de s’éloigner. Parce qu’il se rend compte, sans doute, qu’en déclarant que «  rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur », mais bien ses actes et ce qu’il mijote en son cœur, il met en lumière une différence invisible peut-être, mais infiniment plus grande que les différences sociales ou physiques sur lesquelles on se fonde pour éloigner l’autre.

 

Ce basculement, c’est sans doute celui qui permet d’une part de sortir d’une logique de discrimination, mais qui permet aussi de se donner des critères pour ne pas tomber dans la naïveté. Une naïveté qui voudrait que tout est toujours possible et que l’on peut accepter tout. « La différence est une richesse quand elle tend vers le bien ; une pauvreté quand elle tend vers le mal », estime le penseur africain contemporain Jacques Nteka Bokolo. La confiance de la syrophénicienne en Jésus lui a donné l’audace de le contredire, l’amenant ainsi à reconnaître ce qui les réunit bien plus fort : leur volonté commune que la vie soit la plus forte. C’est cela, c’est œuvrer pour le bien. Marquer sa différence par des propos discriminatoires, anti-démocratiques ou identitaires crispés, c’est œuvrer pour la cassure, la séparation, l’exclusion. Cela, c’est tendre vers le mal. Comment l’attitude de Jésus peut-elle nous inspirer lorsque nous n’y voyons plus trop clair ?

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Autrefois, une différence caractérisait très fort nos sociétés : croire en Dieu ou non. Et dans chaque camp,  on était convaincu de détenir la vérité tandis que les autres se fourvoyaient dans l’erreur et – disait-on du côté catholique – dans le péché. Cela n’a pas entièrement disparu. Mais la sécularisation de la société ainsi que le multiculturalisme de fait qu’elle connaît ont changé la donne. Le théologien Maurice Bellet estimait que l’axe différenciation ne passe plus entre croyants et non-croyants, mais bien, de chaque côté, entre une certaine vision de l’être humain et ce qu’il en est du vivre-ensemble. De fait, l’on entend aujourd’hui des chefs d’État prêter serment sur la Bible, se réclamer du message de l’Évangile… et mener des politiques absolument étrangères à l’esprit de celui-ci. Dans le même moment, on peut lire dans un quotidien d’inspiration chrétienne l’hommage rendu au pape François par une athée  pure et dure – Anne Morelli, pour ne pas la nommer – peu suspecte d’avoir des sympathies immédiates pour lui.

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Et même à l’intérieur du catholicisme – la visite du pape en Belgique l’a également mis en évidence –, il y a des fractures dues aux différences. Entre « conservateurs » et « réformateurs », sans qu’on sache toujours très bien ce que recouvrent ces appellations – sinon qu’elles touchent au rapport au monde et à la société tels qu’ils sont aujourd’hui. Entre pays du Sud et pays du Nord. Entre respect de la Tradition comprise comme un dépôt immuable, inchangé, auquel on ne peut pas toucher et une vision de la tradition plus dynamique, comprise comme une fidélité absolue à l’essentiel mais jamais fermée. Je crois bien, avec d’autres, que l’enjeu majeur du conclave qui va s’ouvrir cette semaine touche à ces fractures, bien plus que le fait de savoir si le prochain pape sera européen ou non. Parce qu’à l’intérieur de chacune de ces différences qui nous sautent aux yeux, un même clivage peut s’opérer. La question de l’ordination des femmes n’est pas d’abord culturelle : elle tient à la représentation que l’on se fait de ce qu’est une femme. A-t-elle ou non une « essence » propre qui la distingue de l’homme ? A-t-elle ou non une vocation particulière ? C’est la seule question que les théologiens évitent soigneusement, parce que, quelle qu’elle soit,  la réponse ébranlerait l’ensemble de la construction théologique.  

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Oui, hommes et femmes sont différents, quoi qu’en disent les égalitaristes des deux sexes qui confondent égalité et identité. Mais la différence ne se situe pas là où on la place généralement afin de recouvrir d’un manteau facile les enjeux de pouvoir et de sacralisation.

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Au cours de cette Neuvaine, nous allons accueillir et entendre des témoins de grandes différences. Des témoins qui ont déjà accompli leur changement de regard. Qui peuvent donc témoigner que oui, la différence est bonne lorsqu’elle a la vie et le bien des humains pour horizon. Et que cette « vérité » se vérifie, se rend vraie par les actes posés par les humains, par ce qui les réunit dans ce service.

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La Parole de Jésus, Parole du Père source de vie et d’amour, est puissante. Lorsque s’unit à elle une parole humaine portée par la confiance en cette source de vie et d’amour, alors tout devient possible.

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Puisse cette Neuvaine nous aider, à la suite de Jésus, à franchir nos frontières intérieures pour rejoindre la communauté de tous les humains qui veulent travailler à cette tâche.

 

 

Myriam TONUS

03 mai 2025

Intentions

En ce moment, dans notre monde, des hommes et des femmes sont tués, torturés, exclus parce qu’ils sont considérés comme différents des autres.

Que ton Souffle, Seigneur, nous donne le courage et la ténacité de les défendre et de travailler à leur donner la place que tu as voulue pour elles et eux.

 

Dans quelques jours, des hommes vont choisir un successeur au pape François pour mener une Église en proie aux divisions.

Que ton Souffle, Seigneur, habite leur choix, afin que celui qui assumera cette lourde responsabilité ait la sagesse, la persévérance et une foi ardente qui l’aideront à offrir un avenir à tes fidèles.

 

Il ne nous est pas toujours facile de résister à l’esprit de discrimination et d’identité qui gouverne nos sociétés.

Que ton Souffle, Seigneur, nous permette de voir en  tout autre, quel qu’il ou elle soit,  ce qui nous réunit par-delà les différences immédiates. Que nous puissions agir pour la vie et le bien de toutes et tous, au coude à coude.

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