Fraternité Laïque Dominicaine
Dominique Pire et Sainte Catherine de Sienne
Sarte
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Frères et Sœurs,
Au début de la Bible, dès le début de la Création, Dieu bénit.
Il bénit les animaux, il bénit les humains. Cette bénédiction est une promesse. Promesse de vie et de croissance. Dieu ouvre un chemin pour la vie des humains, afin qu’ils ne soient pas pris dans les griffes du mal destructeur.
C’est une promesse de salut. Le salut, c’est d’être sauvé ; sauvé de tout ce qui nous détruit, de tout ce qui nous plonge dans la mort au fil de notre existence.
Sa promesse, Dieu va la sceller à travers une « alliance »… Un Dieu qui se lie aux humains, c’est inimaginable, dans l’Antiquité (et peut-être même encore aujourd’hui !). Faire alliance, cela engage dans la durée. En nouant une alliance avec l’humanité, Dieu inaugure une histoire. Une histoire proprement inouïe, incroyable diront certains, puisque nous voici, nous, chacune et chacun, actrices et acteurs d’une histoire bien plus large que celle de notre vie individuelle : une histoire qui concerne l’humanité, de son commencement à sa fin — de l’alpha à l’oméga. Et cette histoire, nous la faisons en union d’alliance avec un Dieu qui nous veut à son image et à sa ressemblance, capables de poursuivre son œuvre créatrice, capables d’être des actrices et acteurs de salut, pour tous nos frères et sœurs humains. Rien de moins.
Cette histoire de salut, ce sont donc les générations qui l’écrivent, l’une après l’autre, comme les vagues d’un océan infini.
Oh, il faut bien reconnaître que l’écriture de cette histoire ne se fait pas de manière uniforme ! Caïn tue son frère Abel, les humains n’en finissent pas de se taper dessus — au point de décourager le Créateur lui-même, dit la Bible, puisqu’il envisage de noyer toute la Création. Mais voilà, quand on aime, on ne peut jamais désespérer et Dieu confie à Noé et aux siens la charge de recommencer dès le début, lui-même déposant son arc dans la nuée en signe de paix définitive. Cela n’empêchera pas, par la suite, d’autres meurtres, d’autres infidélités, un veau d’or, et même des récriminations du peuple pourtant libéré de l’esclavage. Les humains, comme le peuple hébreu, ont la « nuque raide ». Mais Dieu reste indéfectiblement fidèle, jamais il ne reprendra sa promesse. Tout le Premier Testament peut être entendu comme une histoire compliquée entre un Dieu qui veut la vie des humains et des humains qui n’y croient pas vraiment.
Une histoire compliquée, oui, parce que pour que la promesse de salut puisse se réaliser, il faut que des êtres humains la rendent concrète. Alors oui, il y a Abraham, Moïse, Jacob, les rois et les prophètes. Mais ils sont mortels et lorsqu’ils disparaissent, il faut que d’autres prennent la relève. Il faut des humains. Génération après génération.
Et qui donc permet que de nouveaux humains voient le jour ? Les femmes, évidemment… Il n’est pas étonnant que, dans le premier Testament, les femmes occupent une place considérable. Pas seulement parce qu’elles mettent au monde, mais parce que ce sont elles qui sont les gardiennes de la vie — et donc, de la promesse.
Je l’ai dit en commençant, le premier Testament évoque une galerie de femmes dont vous entendrez parler durant cette neuvaine : Judith, Esther, Ruth. Il y a aussi les quatre matriarches : Sara, Rebecca, Lea et Rachel — respectivement épouses d’Abraham, Isaac et Jacob. Il y a même des femmes sulfureuses, qu’évoquera demain la Pasteure Djomhoué. Pas vraiment des modèles de sainteté selon le modèle canonique, pas vraiment conforme à l’image de la femme que l’Église a forgée au fil des siècles ! Mais toutes sans exception, chacune à leur façon, concourent à ce que l’histoire continue, au moment où le fil semble sur le point de casser. Pendant que leurs hommes font la guerre, elles, elles sont l’armée du salut de Dieu.
C’est la raison pour laquelle Dieu comble même les stériles ! Trois exemples. Sara, femme d’Abraham, d’un âge bien avancé, qui se met à rire quand les trois voyageurs arrêtés au chêne de Mambré annoncent à son époux que lorsqu’ils repasseront, l’année suivante, ils auront un fils. La vieille Sara, enceinte : pensez donc ! Mais elle mettra au monde Isaac, père de Jacob à qui Dieu donnera le nom… d’Israël.
Et puis voici Anne, femme d’Elkana, qui est stérile et se rend au temple tous les jours pour porter sa peine devant le Seigneur. « Anne parlait dans son cœur : seules ses lèvres remuaient, et l’on n’entendait pas sa voix » (1Sa, 13). Pourquoi n’est-on pas franchement étonné que le prêtre Éli, la regardant, pense… qu’elle est soule ? « Combien de temps vas-tu rester ivre ? Cuve donc ton vin ! » (v.14)
« Anne répondit : “Non, mon seigneur, je ne suis qu’une femme affligée, je n’ai bu ni vin ni boisson forte ; j’épanche mon âme devant le Seigneur. Ne prends pas ta servante pour une vaurienne : c’est l’excès de mon chagrin et de mon dépit qui m’a fait prier aussi longtemps.” » (v.15-16) Voici Éli forcé de reconnaître son erreur… Et Dieu, bien sûr, exauce Anne, qui va mettre au monde un garçon, Samuel ; comme elle n’a aucune rancune vis-à-vis du prêtre mais une immense gratitude envers Dieu, elle lui confiera Samuel, lequel devenu prophète désignera les deux premiers rois d’Israël : David et Salomon. J’aime toujours rappeler au passage que c’est dans cette jubilation d’avoir été exaucée que Anne fait une prière que l’on appellera plus tard le Magnificat. Ce n’est pas un hasard si Marie la reprend au moment de l’annonce qui lui est faite (elle n’est pas stérile, mais n’est pas en statut d’avoir un enfant). Rendons pourtant à Anne ce qui lui revient, Marie s’en réjouit certainement.
Et voici encore Élisabeth, la cousine de Marie, le dernier maillon de la première alliance, pourrait-on dire. Comme Sara, elle est trop âgée pour enfanter. Dans cet épisode, l’annonce est faite par l’ange Gabriel à l’homme, Zacharie, qui a la même réaction qu’aura Marie : « Comment vais-je savoir que cela arrivera ? Moi, en effet, je suis un vieillard et ma femme est avancée en âge. » (Lc 1,18). Il aurait mieux fait de rire, comme Sara, car l’ange est moins patient avec un homme et il le prive de parole jusqu’à la naissance de Jean-Baptiste.
J’ai choisi pour cette célébration un passage de l’évangile de Luc — celui que l’on appelle « la visitation » parce qu’il est porteur d’une signification exceptionnelle — et c’est à travers deux femmes enceintes que cette signification apparaît.
La rencontre entre Élisabeth et Marie, ce n’est pas une visite de courtoisie entre deux futures mères qui échangeraient — comme ça se fait couramment entre femmes — leurs ressentis et leurs remèdes contre les maux de dos. Je l’ai dit : Élisabeth, c’est la dernière grande figure du premier Testament, de la première Alliance. Marie, elle, c’est la première figure féminine de ce que l’on appellera la nouvelle Alliance, le Nouveau Testament. Leur rencontre, c’est un passage de témoin. Jean-Baptiste, fils d’Élisabeth, préparera la route à Jésus, fils de Marie. Et c’est lui, le fils de la première promesse qui appellera à une conversion, c’est-à-dire un retournement intérieur, une remise en cause radicale… que mettra en œuvre Jésus, fils de la nouvelle Alliance.
La rencontre d’Élisabeth et de Marie, c’est la rencontre du passé et de l’avenir, sans rupture. C’est la continuité de l’histoire, au moment où précisément, le système religieux se sclérose, semble avoir oublié la promesse de salut, où il est comme « désenchanté ». Il ne faut pas que le fil se casse — Dieu est fidèle à sa promesse. La salutation de Marie, c’est l’avenir qui intègre la mémoire, qui l’honore et se met à son service ; la salutation d’Élisabeth, c’est l’émerveillement de ce que c’est au moment où on pourrait désespérer de lui que l’avenir réveille l’espérance et reconnaît dans les événements la fidélité sans faille de Dieu à son alliance avec les humains.
Trop souvent, l’on oppose les deux alliances, avec un premier testament qui montrerait un Dieu jaloux et violent, et un second testament au Dieu tout de bonté paternelle. C’est faire violence au texte et surtout, c’est introduire une déchirure dans une histoire qui continue, tout simplement, de s’écrire.
Jésus lui, en bon Juif, est pétri de l’histoire de la première alliance et jamais il n’entendra la renier : « Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (Mt 5,17) Sans doute est-ce l’une des raisons pour lesquelles il manifeste vis-à-vis des femmes un respect et une admiration que, de son temps, les responsables religieux n’avaient plus guère, englués qu’ils étaient dans des prescrits rituels et moraux.
Jamais, pas une seule fois Jésus ne rabroue les femmes comme il le fait de temps en temps de ses disciples. Il s’émerveille de la foi de la Cananéenne, une non-Juive. Il magnifie la femme qui lui a versé un parfum de prix sur la tête — au grand dam des hommes présents ! Il va même jusqu’à dire d’elle : « Amen, je vous dis : partout où l’Évangile sera proclamé — dans le monde entier —, on racontera, en mémoire d’elle, ce qu’elle vient de faire. » (Mc 14,9).
[C’est très curieux : avec une racine identique pour deux mots, on a deux traductions : faites ceci en mémoire de moi pour la dernière Cène et en souvenir d’elle pour la femme chez Simon… Une traduction n’est jamais neutre !]
Faut-il encore insister aussi sur le fait que le premier témoin du Christ ressuscité est Marie-Madeleine, une femme, donc ? Elle porta d’ailleurs pendant environ deux siècles le titre d’apostola apostolorum – apôtre des apôtres…
Même St Paul — que l’on qualifie à tort de mysogine — évoque ses collaboratrices, qui évangélisent avec lui ; il évoque ses mécènes qui le soutiennent ; et ses hôtesses d’accueil où se rassemblent les communautés. Il évoque évidemment aussi Phœbe, la diaconesse. Occasion de rappeler que dans la première Église, le diaconat féminin existait, ce dont témoigne la constitution syrienne du 3e sc. et les constitutions apostoliques du 4e.
Ce n’est pas ici le lieu pour en exposer toutes les raisons, mais il faut reconnaître que dans la Tradition de l’Église, les femmes n’ont pas bénéficié autant que dans le Judaïsme de la reconnaissance pour le rôle qu’elles ont tenu et continuent de tenir dans l’histoire du salut. Si l’on avait posé sur elles le regard que Jésus leur offrait, l’histoire officielle aurait été différente. Mais on pourrait dire la même chose à propos de la femme de Pilate : « Ne te mêle point de l’affaire de ce Juste ; car aujourd’hui j’ai été très affectée dans un songe à cause de lui » », lui dit-elle (Mt 27,19). Que se serait-il passé si son mari l’avait écoutée ?...
Mais le regard ou le mépris des hommes n’ont jamais empêché les femmes de continuer à dérouler le fil de l’histoire du salut. On pourrait même dire que de leur relégation au second plan, elles ont fait une force. Elles ont été nombreuses celles qui, comme Claire d’Assise, ont refusé de se marier et d’avoir des enfants — ô scandale ! — afin de vivre la radicalité de l’Évangile.
Pas loin de chez nous, à Lessines, à l’hôpital ND à la Rose, des religieuses ont accueilli, soigné, réconforté de 1242 à 1980, soit près de 8 siècles. Tant et tant d’autres, armée innombrable œuvrant souvent dans l’ombre de l’anonymat où l’on voulait les cantonner. Avec aussi de grands figures de docteures de l’Église (quatre quand même !), avec une Catherine de Sienne qui interpelle vivement le Pape établi à Avignon, le pressant de reprendre fidèlement son rôle.
Au fil des siècles, les femmes chrétiennes ont continué à écrire l’histoire du Salut au jour le jour. Des hommes aussi, bien évidemment ! Mais ça, l’histoire officielle ne manque pas de le rappeler. De nos jours, alors que depuis le premier Testament, nous gardons la mémoire d’une galerie de femmes, connues ou non, qui ont contribué à concrétiser la promesse de Dieu, il est étonnant (et c’est peu dire) que l’on s’émerveille parce que quelques femmes sont appelées à servir au sein de l’institution ecclésiale !...
Les femmes d’aujourd’hui sont les héritières en droite ligne de Sara, de Ruth, de Tamar, de Judith, d’Anne, Élisabeth, Marie, de toutes celles qui ont été déclarées saintes et de toutes celles dont les noms sont gravés dans le cœur de Dieu.
« La femme est et sera l’avenir de l’Église », écrivait le théologien Joseph Moingt. On n’en demande pas tant, voyez vous… Et d’ailleurs, la priorité est-elle vraiment celle-là ? Hommes et femmes, à part égale, nous sommes chacune et chacun appelés à être des « porte-parole », des paroles vivantes, présence de l’amour divin là où nous sommes, avec au cœur le désir constant d’honorer notre part de l’Alliance en servant et aimant nos frères et sœurs humains comme Jésus nous a aimés. Nous, les femmes, nous n’avons pas un gène spécifique qui nous prédispose à cela : lorsqu’il s’agit de vivre la bonne nouvelle, il n’y a plus ni homme ni femme, comme dit St Paul.
Nous devons continuer à passer le témoin. Car c’est cela et rien que cela, la « Tradition » : c’est le fait de se transmettre l’un à l’autre, l’une à l’autre, une flamme. La tradition, ce n’est pas l’adoration des cendres, mais la transmission du feu. Cette citation n’est probablement pas du compositeur Gustav Mahler (à qui on l’attribue trop souvent), mais elle est d’une justesse absolue. Depuis des temps immémoriaux, les femmes sont les gardiennes du feu — y compris du feu sacré. Neuf jours pour les remettre en mémoire, c’est rendre grâce à Dieu qui, Lui, ne doute jamais d’aucune d’elles.
Myriam Tonus, op