top of page
Logo FLD.jpg
St Cath de Sienne.jpg
Fraternité Laïque Dominicaine
Dominique Pire et Sainte Catherine de Sienne
Do Pire.jpg

Samedi 6 mai 2023

 Espérer, c'est traverser

Myriam Tonus, o.p.
Frères et sœurs,

Le thème de la Neuvaine organisée, cette année encore, par la Fraternité Dominique Pire, est particulièrement bienvenu. Soirée après soirée, nous allons ouvrir notre intelligence et notre cœur à l’espérance.

Qu’est-ce que l’espérance ?

Pour le dictionnaire, c’est le fait d’attendre quelque chose avec confiance, quelque chose que l’on considère comme possible, probable. Dans ce sens, espoir et espérance sont synonymes. Et puis, on pourrait presque y ajouter l’optimisme, qui privilégie le bon côté des choses. Il va donc falloir creuser un peu, aller plus loin pour affiner notre compréhension de l’espérance.

L’espérance, ce n’est pas l’optimisme. Ça ira mieux demain, oui, la situation du monde est grave, mais il y a toujours une issue positive, il suffit de faire confiance : ça, c’est ce que disent les personnes optimistes. Mais on sait désormais que l’optimisme, c’est psychique, c’est une question de tempérament, lié aux expériences… et aussi aux hormones. Être optimiste n’est pas une obligation morale ; quelquefois, même, cela empêche de prendre la mesure de la gravité d’une situation.

L’espérance n’est pas non plus tout à fait équivalente à l’espoir. Dire : J’espère qu’il fera beau demain ou j’espère gagner un jour au Loto, cela se réfère à l’expérience, à la probabilité. Oui, le soleil finit toujours par revenir et oui, chaque semaine, il y a des gagnants au Loto. On pourrait dire qu’il n’y a pas grand risque ni de folie à miser sur l’espoir car, même s’il est souvent déçu, il est aussi assez souvent exaucé. La raison soutient l’espoir. Si je vous dis: j’espère remporter un jour une médaille d’or à la course à pied, je ne fais pas preuve d’espoir – je délire.

Et l’espérance, alors ?

Si l’on élargit la dimension de notre vie à la foi, l’espérance est l’une des trois vertus dites « théologales » (les deux autres étant la foi et l’amour). Une vertu théologale est une disposition intime, une dimension de l’existence qui nous relie au divin ; une vertu qui guide notre rapport au monde ET à Dieu. Ce n’est pas une vertu morale, qui s’acquiert au fil de la vie (comme la justice ou la prudence), elle est le fruit d’une relation, si la foi est bien une relation confiante. Et dans cette relation, l’espérance – comme la foi et l’amour –, c’est un don gratuit de Dieu.

L’espérance n’est pas une vertu visible, comme peuvent l’être bien d’autres vertus (la générosité, la justice ou la tempérance). Comme la foi et l’amour, elle est comme le « moteur » de tous ces comportements, elle les porte à leur perfection. Il est possible de rendre excellemment la justice sans pratiquer l’espérance au sens théologal et sans avoir la foi. Personne ne pourra le reprocher. Mais si l’on vit sa vie en lien avec le divin, on ne peut faire autrement que d’être cohérent et penser la justice, la générosité ou la tempérance à la lumière de ces trois vertus théologales qui sont un peu notre ADN divin, la trace de sa vie que Dieu dépose en nous.

Dire enfin que l’espérance n’est pas une fuite du monde présent. Ce n’est pas être, comme on disait autrefois, tout entier tournés vers l’éternité, la vie après la mort, le paradis. Le fr. Ignace Berten travaillera cet aspect mercredi prochain ici même.

Mais alors, qu’est-ce que c’est que l’espérance – don de Dieu ?

 

*

 

Je voudrais vous lire quelques lignes de Charles Péguy, qui a consacré tout un poème à l’espérance :

« Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne. Ça c’est étonnant, que ces pauvres enfants voient comment tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux, qu’ils voient comment ça se passe aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin. Ça c’est étonnant et c’est bien la plus grande merveille de notre grâce. Et j’en suis étonné moi-même. »

L’espérance est toujours précédée d’une sorte de constat loyal, de regard sans complaisance sur le réel. Et le réel, aujourd’hui comme hier, que nous montre-t-il ?

  • L’avenir de notre planète et de notre espèce est gravement menacé (urgence climatique) → catastrophes écologiques, migrations forcées, paupérisation et dualisation accrues

  • Le grand monopoly économique mondial nous prive de plus en plus de notre capacité à construire notre vie en autonomie.

  • Nous sommes dans une mutation profonde, qui ébranle non seulement nos habitudes, mais aussi nos certitudes, tout ce à partir de quoi nous nous sommes construits.

Pas de quoi franchement se réjouir ! On parle plutôt aujourd’hui d’éco-anxiété, de dépression, d’angoisse… Sauf si l’on pratique le déni ou qu’on se met la tête dans le sable, il faut reconnaître que le futur est comme un nuage opaque à travers lequel on ne voit pas grand-chose se profiler. C’est dire si nous avons aujourd’hui un urgent besoin d’espérance…

Parce que c’est là, c’est exactement en ce point où rien ne paraît que peut naître l’espérance. L’espérance commence quand il semble qu’il n’y a plus rien à espérer. L’espérance, la vraie, c’est toujours « contre toute espérance », ainsi que le dira jeudi Germaine Ligot. Celui qui a le mieux exprimé cela, c’est le grand écrivain Georges Bernanos, dans une conférence donnée en 1945 :

« L'espérance est une détermination héroïque de l'âme, et sa plus haute forme est le désespoir surmonté. L'espérance est une vertu héroïque. On croit qu'il est facile d'espérer. Mais n'espèrent que ceux qui ont eu le courage de désespérer des illusions et des mensonges où ils trouvaient une sécurité qu'ils prennent faussement pour de l'espérance. L'espérance est un risque à courir, c'est même le risque des risques. L'espérance est la plus grande et la plus difficile victoire qu'un homme puisse remporter sur son âme. On ne va jusqu'à l'espérance qu'à travers la vérité, au prix de grands efforts. Pour rencontrer l'espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu'au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore. »

Aller au-delà de ce que montre pourtant le réel. Se risquer à ne pas suivre ce que la raison nous souffle à l’oreille. Surtout, ne pas se résigner… « L’art de l’espérance, c’est l’obstination », écrivait le théologien protestant Jürgen Moltmann. Voilà qui est vite dit, mais lorsqu’on est vraiment confronté aux puissances de destruction, quand il ne reste rien, c’est une autre affaire !

 

*

Mais l’espérance est aussi intimement liée à ce que nous appelons « foi », c'est-à-dire ce saut de confiance par-delà l’immédiate évidence – qui n’est pas non plus rêverie ou fantasme.

Le mot « espérance » ne figure que deux fois dans les évangiles (une citation d’Isaïe en Mt 12,21 et une chez Jn qui évoque l’espérance que le peuple avait mise dans Moïse, 5,45). Par contre, dans le 1e Testament, il est abondamment utilisé, en lien avec la Promesse et l’Alliance – et ensuite, on le trouvera dans les épîtres, surtout celles de Paul.

Et entre les deux ?  C’est la mort de Jésus, qui signe apparemment la fin de tout, qui va précisément faire peu à peu se lever l’espérance. Souvenons-nous des disciples d’Emmaüs : leur monde s’est écroulé. « Nous, nous espérions qu’il allait délivrer Israël… » Nous espérions : ce verbe à l’imparfait, à l’inaccompli, exprime toute la désillusion, toute l’espérance déçue, toutes les promesses non accomplies. La réalité. Et la réalité la plus banale qui soit : la mort met un terme à tout. Souvenons-nous encore que, lorsque Marie de Magdala revient dire aux disciples qu’elle avait vu Jésus, « ils ne la crurent pas ». Et quand deux disciples (probablement ceux d’Emmaüs) reviennent l’annoncer aux autres, « eux non plus on ne les crut pas ». Et même après que ce disciples aient fait l’expérience de la présence de Jésus vivant, il faudra que le Souffle de Dieu vienne littéralement balayer leur peur pour qu’enfin ils osent rendent compte publiquement de leur foi. Il leur a fallu passer par l’expérience de la mort, de la désillusion , de la dés-espérance pour que se lève en eux le germe de l’espérance contre toute raison.

Ce mouvement est inhérent à la foi. Sainte Thérèse de Lisieux, qui paraissait durant son existence habitée d’une certitude inébranlable, qui parlait de Dieu et de Jésus comme d’une évidence, au moment où elle va mourir, est prise d’un doute aussi grand : le ciel est vide, je me suis trompée, il n’y a rien… Les écrits de Mère Teresa publiés après sa mort témoignent de ce que elle aussi, derrière son sourire constant, vivait dans un abîme de doute… Et les mots manquent au croyant, face à la Shoah, face au génocide au Rwanda. Comme ils manquait à l’abbé Schoonbrodt qui a célébré les funérailles de Julie et Mélissa : « Où sont passées les prières adressées au Signeur? »… Oui, Bernanos a raison : l'espérance est une vertu héroïque, qui demande de grands efforts. Ce n’est jamais une assurance contre le risque – au contraire.

L’espérance, c’est le choix que nous faisons d’aller du côté de la vie, même dans le noir. C’est un choix…

J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives. (Dt 30,19)

Mais ce n’est pas un choix subjectif, c’est un choix relationnel, lié à une Parole, à une Promesse. C’est le choix de croire, c'est-à-dire de nous en remettre avec confiance à une puissance de vie, une puissance d’être et d’amour qui nous engendre en permanence, qui est fidèle sans jamais s’imposer.

Un choix contre toute raison, alors ?

Pas tout à fait. Parce que si nous pouvons expérimenter que Dieu n’est pas le réalisateur de nos rêves et de nos fantasmes, nous pouvons aussi expérimenter dans notre chair que sa Parole transforme notre cœur. Que si nous l’accueillons, son Souffle inscrit en nous ses dons. Que c’est à travers des humains que sa volonté d’un monde autre, d’un monde renouvelé se réalise peu à peu.

Et si, malgré tout, nous continuons à nous sentir impuissants, devant l’immensité de la tâche et l’implacable dureté du réel ?

Réécoutons la parabole du semeur. Ce semeur pas très professionnel,  qui répand ses graines à tout vent, y compris là où la raison sait qu’elles ne germeront pas. Un semeur généreux, qui ne vise pas uniquement l’efficacité et le rendement. Peut-être parce qu’il sait qu’il arrive qu’une graine germe entre les pierres, au milieu du désert, dans les failles d’un béton.

Plus que jamais, là où nous sommes, avec nos talents, nous sommes invités à être de généreux semeurs, semeuses… non de discours, mais de gestes, d’initiatives inspirés et inspirants.

L’espérance, c’est cultiver, chacune et chacun, et ensemble aussi, ce qui nous fait humains ; c'est opposer un refus ferme, absolu, définitif, à ce qui détruit, défigure et fait mourir. (Et le monde s'y entend, en pratiques de mort. Il en a même trouvé de souriantes et de divertissantes…) C’est oser parier sur ce qui est petit, faible, vulnérable, fragile ; c'est faire un formidable pied de nez à toutes ces puissances sûres d'elles, qui ne voient ni n'entendent le fou qui les déshabille. Oser croire que les cieux nouveaux, la terre nouvelle adviendront par ce qui est méprisé et exclu, c'est aussi fou que l'histoire d'un enfant-Dieu né dans un bled perdu d'un petit pays perdu ; c'est aussi fou que l'histoire d'un descendant d'esclaves noirs devenu président des Etats Unis ; c'est aussi fou que l'histoire d'empires qui se croyaient éternels, qui avaient construit des murs surmontés de barbelés – et qui se sont écroulés.

Ce ne sont ni les empereurs, ni les rois, ni les papes qui ont en définitive frayé le chemin de l'espérance. Ce sont des foules d'anonymes, hommes et femmes, jeunes et vieux. Obscurs, peut-être même pas très courageux. Mais des humains reliés. Reliés entre eux. Et, pour certains, reliés à un être – Jésus – qui les avait précédés et dont ses disciples avaient dit que sa puissance de vie était capable de passer tout, même la mort.

Oui, ce sont eux, ces petits humains, qui ont changé la face du monde, tandis qu'en face d'eux les puissants continuaient, comme ils l'avaient toujours fait, à célébrer leur propre puissance. Ce sont eux, c’est nous ces petits humains fragiles qui, tandis que les puissants étendaient leurs ténèbres sur le monde, maintiennent la flamme allumée.

 

 

Myriam Tonus

Neuvaine de la Sarte, mai 2023

Intentions

Ouvrons notre cœur à celles et ceux qui sont pris dans les filets de la destruction, qui désespèrent d’eux-mêmes et de leur existence.

Nourris en nous, Seigneur, la vertu d’espérance. Que nous puissions être, pour nos frères et sœurs qui sont dans le noir, un rai de lumière qui les réconfortera et les aidera à se relever. Prions.

 

Ouvrons notre cœur à tout ce qui, dans notre monde, prive les êtres humains de leur capacité d’agir, qui leur donne le sentiment qu’ils ne peuvent rien faire, qu’ils sont sans aucun pouvoir.

Renforce en nous, Seigneur, la vertu d’espérance. Que nous refusions la fatalité en nous engageant, là où nous sommes, afin d’expérimenter qu’il est possible de vivre humainement. Prions.

 

Ouvrons notre cœur, à ce qui, dans nos communautés chrétiennes, est usé, à bout de souffle, incapable de se renouveler.

Que ton Souffle, Seigneur, ravive les braises de l’espérance que tu nous as donnée. Que nous soyons courageux, créatifs, fraternels. Que nourris par ta Parole, nous tracions de tout nouveaux chemins inspirés. Prions.

 

Et si l’espérance faiblit ou s’éteint en nous, donne-nous Seigneur, d’au moins désirer l’espérance… Prions.

Prière finale

Père, source de vie et d’espérance,

Nous voici rassemblés devant toi

            frères et sœurs marchant à la suite de Jésus,

            qui est le premier-né d’une humanité sans cesse recréée par ton amour.

 

Nous te disons merci pour ta présence fidèle.

Nous te disons merci de te révéler en chaque visage humain.

Nous te disons merci de faire de nous les artisans d’un monde autre.

 

Garde-nous sur ton chemin de vie.

 

Qu’à l’écoute de ta Parole qui nous façonne,

            nous osions toujours plus mettre en toi notre confiance

            nous osions toujours plus aimer nos frères et sœurs humains

            nous osions toujours plus espérer contre toute espérance

 

Protège-nous de la tristesse, du fatalisme, de l’indifférence

 

Ainsi que tu le fais depuis la création du monde,

            fais de nos intelligences les outils d’une croissance au service de l’humain

fais de nos mains les instruments de soin, de soutien et de construction d’une terre apaisée

fais de nos cœurs des lieux d’hospitalité à toutes et tous.

 

A la suite de Jésus Christ, nous voulons faire advenir un petit morceau de ce royaume qu’il a donné aux humains de goûter ici-bas, qui nous donne d’espérer que la grande vie dont tu es la source ne connaît pas de fin et qu’elle est plus forte que toute mort.

 

Amen

bottom of page