À partir du livre de Daniel Marguerat
« Paul de Tarse – l’enfant terrible du christianisme »
1.Remarque préliminaire.
1. Le terme de « justification » est, à mon estime, inadéquat ou du moins ambigu. La justification suppose une explication, une reddition de comptes. À qui ? À quel inquisiteur ? Nanti de quels pouvoirs ?
On se justifie auprès de son employeur, auprès de son professeur, auprès de son juge ; bref, la justification s‘inscrit dans un rapport hiérarchique.
À titre personnel, le Dieu auquel je crois ne se révèle pas dans ce rapport-là.
2.La justification suppose, à tout le moins, une mise en cause voire pire une mise en accusation. Pourquoi as-tu fait cela ?
Pourquoi t‘es-tu abstenue ? Qui est en droit de me dire cela ? À coup sûr, mes frères et mes sœurs d‘abord, moi-même ensuite, mais au-delà ?
Je souhaite, à titre personnel, que le Dieu auquel je crois n‘en « rajoute pas une couche », ma culpabilité individuelle me suffit amplement. J‘espère infiniment plus en sa miséricorde.
Et si on laissait tomber ce mot de justification pour se demander plutôt « qui est juste aux yeux de Dieu » ?
2.Les textes :
Philippiens, 3, 3 et svts : En fait, c‘est nous qui avons la vraie circoncision car nous servons Dieu par son Esprit… et nous ne fondons pas notre assurance sur des privilèges humains.
Pourtant je pourrais aussi me réclamer de tels privilèges…
- j‘ai été circoncis le 8e jour après ma naissance
- je suis Israélite de naissance, de la tribu de Benjamin
- Hébreu descendant d‘Hébreux
- je pratiquais la loi juive en bon pharisien
- en ce qui concerne la vie juste prescrite par la loi, j‘étais irréprochable.
Ces qualités que je regardais comme un gain, je les considère comme une perte.
Je n‘ai plus la prétention d‘être juste grâce à ma pratique de la loi, c‘est par la Foi au Christ que je le suis…
Galates 2, 16 et svts :
Nous savons que l‘homme est reconnu juste par Dieu uniquement à cause de sa Foi en Jésus Christ et non parce qu‘il obéit en tout à la loi de Moïse…
J‘ai été mis à mort avec le Christ sur la croix de sorte que ce n‘est plus moi qui vis, mais c‘est le Christ qui vit en moi. Car ma vie actuelle je la vis dans la Foi au Fils de Dieu qui m‘a aimé et a donné sa vie pour moi. Je refuse de rejeter la grâce de Dieu. En effet si c‘est au moyen de la loi qu‘on peut être rendu juste aux yeux de Dieu, alors le Christ est mort pour rien.
La loi, c‘est la Torah c‘est-à-dire l‘enseignement transmis par Dieu à Moïse et les enseignements qui en découlent, elle comprend :
- La Genèse
- L‘Exode
- Le Lévitique
- Les Nombres
- Le Deutéronome
La loi inclut : des comportements éthiques, des observances rituelles, des prescrits tatillons sur la pureté, les sacrifices, les fêtes, les prêts aux pauvres, le rachat des terres, des personnes, etc.
C‘est un corpus énorme (près de 700 règles) qui cadenasse la vie sociale, la vie intime, la vie économique…
Ces règles sont autant d‘indicateurs visibles, observables, contrôlables et partant aisément… rétribuables… Et on se retrouve dans une logique comptable.
Paul d‘ailleurs ne s‘y trompe pas lui qui écrit « ce que je regardais comme un GAIN, je les (ces qualités) considère comme une PERTE.
Et basta, on change de logique, c‘en est fini de la comptabilité, c‘est la Foi qu‘il s‘agit de considérer et quoi de plus intime, de plus privé, de moins visible, de moins quantifiable ?
C‘est une révolution.
3. Contextualisation.
Marguerat rappelle longuement le contexte historique, et il fait bien.
Les Juifs, dans leur identité, à l‘époque du Christ et de Paul ont été soumis à une pression sociale, politique, culturelle et religieuse.
Ils sont un peuple politiquement disqualifié, ils n‘ont plus rien à dire chez eux, ou si peu, c‘est un autre ordre qui s‘impose, socialement disqualifié, les colonies sont mises en couype réglée, ce qui importe ce n‘est pas d‘être Hébreu, mais d‘être citoyen romain (Paul en jouera d‘ailleurs). Culturellement apparaît une culture hellénistique avec des valeurs nouvelles comme la rationalité, cette culture s‘émancipe du religieux. Sur le plan religieux, la religion des vainqueurs est toute autre, polythéiste, très accommodante, peu contraignante, peu convaincante, ce n‘est qu‘une religion de façade et les Romains s‘en portent fort bien…
Face à cet état de chose, que peut faire un peuple élu ? Se soumettre, se diluer et perdre ainsi son statut privilégié ou résister, s‘arc-bouter sur ses piliers et cultiver farouchement sa spécificité ?
C‘est ce que feront les “purs”, les enragés aimerais-je dire, dont Paul a été quand bien même a-t-il épousé la citoyenneté romaine.
Il y a donc eu une réaction identitaire aigüe dans le chef des Juifs avec en corollaire chez Paul un contrepoint virulent exprimé en termes excessifs (à mon estime). “Ces qualités (être hébreu, circoncis, né d‘Hébreux respectueux de la loi, etc..), je les considère comme une perte. ” C‘est violent, c‘est méprisant.
“Si c‘est au moyen de la Loi qu‘on peut être juste aux yeux de Dieu, alors le Christ est pour rien.”
Il semble qu‘il y a une incompatibilité radicale entre le judaïsme et le christianisme, si ce n‘est pas une déclaration de guerre ça y ressemble fort. C‘est dommage…
4. Seule la Foi rend juste aux yeux de Dieu.
Cette affirmation de Paul si elle n‘était qu‘un positionnement historique entre les 1ers chrétiens et le peuple juif ne m‘intéresserait guère, sauf à titre historique et j‘aurais envie de dire que cela ne me concerne pas, 2000 ans après, ici, en Belgique, à Huy qui plus est (il n‘y a même pas une synagogue !).
Mais cette affirmation, dans le contexte qui est le mien, je la reprends à mon compte pour différentes raisons :
1. Seule elle m‘éclaire sur bien des passages des évangiles et non des moindres : chez Luc, 23,39 c‘est l‘épisode des 2 larrons dont un sera sauvé “in extremis” en dépit d‘une vie de rapines ou pire encore, ce sont des paraboles inexplicables autrement, celle de l‘enfant prodigue, celle de l‘ouvrier de la dernière heure, de la brebis égarée. De même je pense aux miracles, “ta Foi t‘a guérie”… La Foi revient comme un leitmotiv, comme un mantra, elle est le nœud de tout.
2.Cette affirmation sonne le glas de la méritocratie, de la comptabilité des bons et des mauvais points, des bonnes et des mauvaises actions ; on bascule dans un autre ordre où notre grille de lecture (qui relève tellement de la comptabilité) n‘a pas lieu d‘être.
Si Dieu est ce qu‘il est, c‘est-à-dire tout autre que moi, il ne peut en être qu‘ainsi.
3.enfin cette affirmation me fait voir, en creux si j‘ose dire, une miséricorde infinie que je trouve très douce. Mais sans doute cela tient-il davantage de la sensation que de la raison.
5.Et maintenant on fait quoi ? Et pour quoi ?
Si l‘enfant prodigue et l‘enfant sage connaissent le même sort alors tout se vaut…
Si l‘ouvrier de la 11e heure perçoit le même salaire que celui de la 1re heure, le travail est disqualifié et il faudrait être bête pour trimer toute la journée.
Si la Foi est seule porte de salut, alors tout se vaut, alors le bien, le mal sont indifférents.
Cela je ne l‘admets as : il y a ce qui sert l‘humanité et que je dois promouvoir et ce qui la dessert et que je dois combattre. Et pour cela je n‘ai pas besoin de référence divine, mon humanité suffit.
On est tous dans la même galère, on doit tous s‘en sortir et dans ce projet que je tire de ma simple humanité, il n‘est pas question de salut individuel ou collectif, il n‘est question que de vivre mieux, ensemble, ici et maintenant.
C‘est ici que tout se passe.
Et pourtant, en essayant de cheminer sur cette voie-là, je croise tout le temps les Évangiles, le samaritain, l‘amour du prochain…
L‘amour c‘est le second leitmotiv, le second mantra des évangiles. Et si la Foi rend juste aux yeux de Dieu, il me paraît malaisé de passer à côté de l‘amour.
Germaine Ligot, o.p.
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