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Dimanche 7 mai 2023

 Espérer, c'est accueillir l'autre

Anne De Potter

Vous espérez, puisque vous m’accueillez, moi en tant que femme et en tant que juive qui présente une double altérité. L’altérité, ce qui altère ? L’identité, ce qui doit rester identique ? Je ne le crois pas.

 

L’autre, c’est toujours… l’autre et nous sommes toujours l’autre de quelqu’un. « Comment peut-on être persan ? » écrivait Montesquieu.

 

Certes, « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19 : 18), mais aussi : « Il sera pour vous comme un de vos compatriotes, l’étranger qui séjourne avec vous, et tu l’aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers dans le pays d’Égypte je suis l’Éternel votre Dieu » (Lévitique 19 : 34).

 

Ma volonté n’est ni de vous choquer, ni de vous convaincre, mais seulement d’entr’ouvrir une toute petite fenêtre sur une lecture possible de brefs extraits de la Genèse. Chaque juif se doit de lire le texte pour y trouver un trésor pour sa vie personnelle, si possible en hébreu pour déployer le texte et lui donner plus de dimensions.

 

Un petit garçon dans le tram voit que son voisin d’en face, qui porte un tout petit chapeau rond et des boucles devant ses oreilles, lit un texte mystérieux. « Que lisez-vous ? » lui demande-t-il ? « La Bible ». « Ah, mais c’est étrange, vous lisez en quelle langue ? » « En hébreu ». Et le père du petit garçon de s’exclamer : « Ah bon, ils l’ont même traduite en hébreu ! »

 

Soyez attentif, parce que le premier extrait sera particulièrement court.

 

Genèse 1 : 1 : « A… ». Le A de « Au commencement… », la toute première lettre du Premier Testament.

 

Le A, première lettre de notre alphabet, aurait dû être « traduit » par aleph, première lettre de l’alphabet hébreu. Les lettres sont aussi des chiffres. Le aleph est aussi le chiffre 1.

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Mais la Torah commence par la deuxième lettre de l’alphabet, beth, qui signifie la maison et aussi le chiffre 2 : le 1 n’est pas de ce monde.

 

Notre monde, notre petit vaisseau spatial bleu, c’est le 2. La lettre beth, notre maison, est fermée de trois côtés pour nous protéger, mais dispose d’une ouverture vers le futur, vers l’action et vers l’autre (l’hébreu se lit de droite à gauche).

En effet, elle s’ouvre vers la lettre guimel, le chameau qui permet de sortir de sa maison et de partir à la découverte de l’autre.

Poursuivons la lecture : Gen 1 : 1 —

 

Le jour Un (ehad en hébreu comme dans l’expression « Dieu est un ») n’est pas le premier (richon en hébreu) jour. Dire ‘premier’ suggère une suite : premier, deuxième, troisième, etc. Le Un, le jour de l’unité, n’est pas nécessairement lié à une suite. Le passage consacré à ce jour Un contient une fois le mot tov : bon ou bien, associé à l’apparition de la lumière.

Le deuxième jour est celui de la séparation, c’est-à-dire de l’altérité, de la différence, du risque, de la menace, du danger, du manque. Le passage consacré à ce jour ne contient donc pas le mot tov.

 

Le troisième jour apparaissent les arbres qui relient le ciel et la terre est celui de la relation. Le passage consacré à ce jour contient deux fois le mot tov.

On peut en déduire que la relation est doublement bonne à la condition de passer par l’étape de la séparation et de ne pas rester dans celle de l’unité qui n’est pas de ce monde.

 

(Ce passage est inspiré du cours à l’Institut des études du judaïsme de Édouard Robberecht [que je remercie ici] sur l’enseignement du Maharal de Prague [je recommande la lecture du livre Le puits de l’exil de André Néher]. Les lettres hébraïques sont calligraphiées par Frank Lalou).

 

J’ai ressenti parfois un certain malaise lors de rencontres inter-convictionnelles face à l’affirmation, la glorification de l’unité ou au contraire face à la critique d’une violence réelle ou symbolique du monothéisme. Sans parler d’expressions telles que ‘le Dieu des juifs, le Dieu des chrétiens, le Dieu des musulmans’ qui ne semblent pas conformes au monothéisme !

 

Souvent, je me sens seule à affirmer qu’une certaine unité peut être dangereuse, lorsqu’elle vise l’uniformité.

 

Comment combiner identité et citoyenneté dans une société multiple ? Comment faire comprendre que l’unité appartient à Dieu et la diversité aux hommes ? Et qu’il est dangereux de confondre ?

 

Sous couvert du généreux et ouvert « Nous sommes tous frères, nous sommes tous humains, tous semblables, tous unis, nous n’avons qu’une religion, celle de l’amour, etc. » se cache le risque d’une uniformité dangereuse.

 

Car, d’un autre côté, j’entends, certes plus rarement : « Le monothéisme a éliminé le féminin, il a méprisé et piétiné des cultures, etc. ».

 

La Genèse, un si vieux texte de plus de 3500 ans, a-t-elle ici encore quelque chose à nous dire ? Je vous propose une clé qui peut nous aider.

 

Elle se trouve dans le passage de la Bible consacré à Noé et au déluge. L’arc-en-ciel est, selon la Bible, un signe d’alliance, avec la circoncision (Abraham, Genèse 17 : 10-14) et chabbat (après la sortie d’Égypte, Exode 16 : 22-27 et Exode 20 : 8-11 : le quatrième commandement).

 

Contrairement à la circoncision et chabbat, l’arc-en-ciel est un signe donné à Noé, le second Adam, à savoir à l’humanité tout entière ! Quelle est la clé symbolique de ce signe à vocation universelle ?

 

L’arc-en-ciel : un pont céleste qui relie des points terrestres très éloignés…

 

Lisons d’abord le texte :

 

Genèse 6 : 13 :

 

Et D. ieu dit à Noé : « Le terme de toutes les créatures est arrivé à mes yeux, parce que la terre, à cause d’elles, est remplie d’iniquité ; et je vais les détruire avec la terre. »

 

et Genèse 9 : 12-17 :

 

D.ieu ajouta : « Ceci est le signe d’alliance que j’établis, pour une durée perpétuelle, entre moi et vous, et tous les êtres animés qui sont avec vous. J’ai placé mon arc dans la nuée et il deviendra un signe d’alliance entre moi et la terre. À l’avenir, lorsque j’amoncellerai des nuages sur la terre et que l‘arc apparaîtra dans la nuée, je me souviendrai de mon alliance avec vous et tous les êtres animés et les eaux ne deviendront plus un déluge, anéantissant toute chair. L’arc étant dans les nuages, je le regarderai et je me rappellerai le pacte éternel de D. ieu avec toutes les créatures vivantes qui sont sur la terre ». D.ieu dit à Noé : « C’est là le signe de l’alliance que j’ai établi entre moi et toutes les créatures de la terre. »

 

Cet arc-en-ciel me faisait penser à un dessin enfantin, avec de petits nuages blancs comme de gentils moutons dans un grand ciel bleu, et je me demandais comment une telle représentation, jolie, mais mièvre, pouvait figurer la force d’un signe d’alliance, d’une promesse divine de survie de l’humanité, d’une humanité sous la menace d’anéantissement par le déluge ?

 

En réalité, cette image d’Épinal ne correspond pas au texte hébreu. Les nuages dont il est question sont sombres et lourds, porteurs de périls. Je me suis alors demandé comment se forme un arc-en-ciel, concrètement.

 

La lumière nous vient du soleil. Lorsqu’elle atteint une goutte d’eau, cette lumière, jusqu’alors unique et invisible, se diffracte. Chaque goutte d’eau renvoie alors toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, celles que l’on voit, mais aussi l’infra-rouge et l’ultra-violet.

Comment se fait-il alors que nous voyons l’arc-en-ciel comme composé de bandes de couleurs différentes ?

 

C’est l’angle de vue entre nous et chacune des gouttes d’eau qui détermine la couleur que nous voyons d’elle. Et comme les gouttes d’eau tombent, cet angle de vue varie : la même goutte change alors de couleur, à nos yeux, au fur et à mesure de sa chute. Ce n’est pas elle qui change, mais notre point de vue. Et il nous est impossible de ne pas avoir de point de vue.

La lumière, unique et invisible (unité de l’Éternel), est antérieure à la traversée de la goutte d’eau (passage dans notre monde matériel) qui provoque, de manière inévitable et irréversible, sa division (pluralité des hommes).

 

Si l’homme veut, de manière illusoire, se situer avant la diffraction, dans l’unité totalisante, il risque de basculer dans l’extrémisme.

 

À ce niveau, il n’y aurait qu’une seule manière de concevoir l’Éternel et de se comporter envers lui, quel que soit le temps et le lieu. Toute autre manière serait une déviance à combattre, même au prix de vies humaines.

 

Mais si l’homme ne veut se situer qu’après la diffraction, uniquement, il perd la mémoire et la conscience de l’origine unique de la lumière, de ce qui unit tous les êtres humains au-delà d’eux-mêmes, par-delà leurs différences. Et là aussi, le risque de violence (ou d’indifférence, qui est une forme de violence) est grand.

Enfin, l’autre détient une part d’ombre et de mystère qui nous échappe inévitablement : l’infra-rouge et l’ultraviolet font que nous ne pourrons jamais percevoir sa globalité et donc l’enfermer par notre propre vision.

 

Se souvenir de la source unique et commune sans se l’approprier, voilà qui nous permet peut-être de mieux comprendre la clé, le signe qui s’oppose à l’iniquité parmi les hommes, cause du déluge !

 

Un autre clé consiste peut-être à prendre certaines de nos différences avec un peu de souffle, de légèreté et d’humour.

Un petit garçon interroge sa mère : « Maman, comment je suis venu sur terre ? » « C’est simple mon chéri, Dieu a créé le monde, puis Adam et Eve qui ont eu des enfants qui ont eu des enfants, etc. et te voilà ! » « Ah, ok »

 

Puis il va voir son père et lui pose la même question. Son père lui répond : « C’est simple mon chéri, il y a eu un big bang, puis l’océan avec des amibes, puis sur terre des singes dont certains sont devenus des humains qui ont eu des enfants qui ont eu des enfants, etc. et te voilà ! » « Ah, ok ».

 

L’enfant retourne voir sa mère « Mais Maman, je n’y comprends plus rien, toi tu me parles de Dieu, d’Adam et d’Eve, et Papa me parle de big bang et de singes ! C’est quoi finalement ? » « Mais c’est très simple mon chéri, Papa t’a parlé de sa famille, et moi… je t’ai parlé de la mienne ! »

 

***

 

Si l’espérance est ce qui reste quand il n’y a plus d’espoir comme disait Myriam Tonus hier soir, que notre désespoir se transforme en ‘des espoirs’, au pluriel, par de petits projets, initiatives, de petits gestes.

 

Que nos communautés respectives soient des lieux de ressourcement et non d’exclusion. Il est doux de se retrouver entre gens qui partagent le même vocabulaire, les mêmes codes, les mêmes rites… Il est doux de ronronner ensemble, en sécurité. Mais ne tournons pas en ronronron !

 

Que la tolérance parfois condescendante cède la place au respect réciproque.

 

« Si je ne me soucie pas de moi, qui le fera ? Si je ne me soucie que de moi, que suis-je ? et si pas maintenant, quand ? » disait Hillel, un sage contemporain de Jésus dont ma synagogue porte le nom.

 

Quel le signe universel d’alliance de l’arc-en-ciel nous guide pour construire des ponts, pour imaginer et surtout pour faire ensemble :

 

« Si tu veux vivre tes rêves, ne dors pas ! »

 

Anne De Potter

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