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Fraternité Laïque Dominicaine
Dominique Pire et Sainte Catherine de Sienne
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Mardi 6 mai 2025

« Femmes, hommes et autres genres »

Pasteur François Choquet
Évangile de Jésus Christ selon saint Marc

En ce temps-là,

Jésus partit et se rendit dans le territoire de Tyr. Il était entré dans une maison, et il ne voulait pas qu’on le sache, mais il ne put rester inaperçu : une femme entendit aussitôt parler de lui ; elle avait une petite fille possédée par un esprit impur ; elle vint se jeter à ses pieds.

Cette femme était païenne, syro-phénicienne de naissance, et elle lui demandait d’expulser le démon hors de sa fille. Il lui disait :

« Laisse d’abord les enfants se rassasier, car il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. »

Mais elle lui répliqua :

« Seigneur, les petits chiens, sous la table, mangent bien les miettes des petits enfants ! »

Alors il lui dit :

« À cause de cette parole, va : le démon est sorti de ta fille. » Elle rentra à la maison, et elle trouva l’enfant étendue sur le lit : le démon était sorti d’elle.

Sœurs et frères, chers amis,

 

Je dois vous faire une confession – c’est le lieu, sinon le moment ! – je suis toujours un peu embêté quand on cherche dans les Écritures Saintes de quoi alimenter notre réflexion sur ce qu’on appelle « le genre ». En effet, comme l’écrit Christine Pedotti dans son essai Jésus, l’homme qui préférait les femmes, « la rupture avec les usages de son temps est flagrante tant cet homme (Jésus) semble indifférent à ce que nous nommes aujourd’hui les ‘stéréotypes de genre’. Il traite les femmes comme des personnes à part entière, sans leur assigner un quelconque rôle en raison de leur sexe(1). »

Jésus-Christ, focale d’interprétation de toute la Bible, ne nous permet pas – contrairement à ce que fantasment certains conservateurs – il ne nous permet pas de dire avec rigidité ce que doit être un homme ou ce que doit être une femme, ce que peut faire un homme ou ce que peut faire une femme, pas plus qu’il n’énonce un jugement moral sur les personnes qui sèment ce que la philosophe Judith Butler appelle un « trouble dans le genre ». Par ailleurs, dans le reste des Écritures, les opinions portées sur les femmes ou sur les minorités sexuelles sont tellement marquées d’une culture lointaine qu’elles doivent absolument être remises à leur place : le passé.

Pourtant, l’évangile de Marc nous relate cette rencontre entre une femme syro-phénicienne et Jésus. Et force est de constater que les choses s’emmanchent assez mal entre ces deux-là. Femme, païenne, étrangère, l’interlocutrice de Jésus coche presque toutes les cases du bingo de l’exclusion. Et alors qu’on attendrait de Jésus un témoignage de l’accueil généreux du Père, voici qu’il lui répond : Laisse d’abord les enfants se rassasier, car il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. Au risque d’offenser les amoureux des animaux parmi nous, se faire traiter de « petits chiens » par Jésus, ce n’est pas tout à fait un compliment. Une traduction dynamique du texte grec dirait quelque chose comme : « je ne suis pas venu pour les chiens ». Au moment où la femme vient lui demander la guérison de sa fille, Jésus a encore dans l’esprit que sa mission est circonscrite au peuple d’Israël et que, donc, les autres seront servis après : laisse d’abord les enfants se rassasier.

Alors, à quoi bon, quand on est une femme, quand on est une personne homosexuelle, quand pour une raison ou une autre on est mis en marge de la société et de l’Église, à quoi bon se tourner vers le Christ ? C’est pourtant ce qu’ose la syro-phénicienne qui, à force de persuasion, va faire bouger les lignes. Des lignes que nous avons lues et dont, je crois, nous pouvons vivre.

Je ne vous l’ai pas dit encore, mais, jadis, j'étais catholique. Et un catholique fort engagé. Ainsi, en 2011, je participai aux Journées Mondiales de la Jeunesse rassemblées à Madrid et, au cours du voyage en car qui nous menait de la Bretagne jusqu'à la péninsule ibérique, nous étions – ô suprême honneur – escortés par l'archevêque. Ledit archevêque étant là pour nous rencontrer et répondre à nos questions. Je ne me rappelle que d'une question, posée par une fille de mon groupe qui s'interrogeait précisément sur le sens du récit que nous avons entendu. Et ce qui perturbait ma camarade, c'était l'apparent changement d'avis de Jésus.

Honnêtement, j'ai oublié la réponse de l'archevêque. Mais ce soir j'aimerais encore nous poser cette question : à quoi bon accorder le moindre crédit à un Messie en apparence assez peu sûr de lui pour se faire remettre en place et en question par une insolente païenne étrangère ?

 

La première raison qui me pousserait, malgré tout, à me tourner vers le Christ, c’est qu’il est le Visage d’un Dieu qui crée en vue de la liberté.

 

Le texte nous dit : une femme entendit aussitôt parler de lui ; elle avait une petite fille possédée par un esprit impur ; elle vint se jeter à ses pieds. Bien sûr, on est en droit de lire ce récit comme celui d’un miracle de guérison. J’ai d’ailleurs pour habitude de penser que plusieurs lectures peuvent s’entrecroiser et se nourrir mutuellement. Par conséquent, j’aimerais vous proposer une lecture symbolique de la situation de la femme syro-phénicienne : qui est cette fille possédée, qu’on ne voit pas ? Et s’il s’agissait d’une évocation de ce qui empêche la femme d’être porteuse de vie ? Non pas au plan purement biologique, mais plus largement, plus profondément: qu’est-ce qui fait que la femme a une amertume et peut-être un goût de mort dans la vie ?

 

Mon hypothèse est que la femme a tellement intériorisé son exclusion qu’elle en est arrivée à s’identifier à ce rejet: elle n’est plus seulement une femme étrangère et païenne, elle est le sexe faible, elle est l’étrangeté, elle est le paganisme. Et Jésus, par la brutalité de sa parole, va encore faire résonner cette violence symbolique que subit la femme : il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. Terrible parole – comme sont terribles les paroles que peuvent proférer les Églises quand elles répondent aux revendications des femmes et des minorités sexuelles. Combien de fois n’avons-nous pas entendu qu’il nous fallait rester à notre place et que nous devions être bienheureux, bienheureuses d’être admis en la présence de ceux qui sont dans le droit chemin ?

 

Néanmoins, si la femme, précisément, cherche son chemin, elle va tout de même trouver Jésus. Le célèbre auteur de fantasy Tolkien a cette parole lumineuse : « Tous ceux qui errent ne sont pas perdus. » La femme syro- phénicienne est en errance, mais elle n’est pas perdue. La preuve : Jésus était entré dans une maison, et il ne voulait pas qu’on le sache, mais il ne put rester inaperçu : une femme entendit aussitôt parler de lui. Et cette femme connaît, instinctivement, le chemin de Celui qui pourrait lui apporter la guérison.

 

Victor Hugo écrit :

Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent ; ce sont

Ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front,

Ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime,

Ceux qui marchent pensifs, épris d’un but sublime,

Ayant devant les yeux sans cesse, nuit et jour,

Ou quelque saint labeur ou quelque grand amour(2).

 

Résolument, la femme syro-phénicienne appartient à la noble cohorte de ceux et celles qui vivent et qui luttent. Et de cette lutte, elle a acquis assez de liberté pour venir supplier, à genoux, celui dont elle attend un geste.

 

Je crois profondément que c’est Dieu, Souffle de vie et de tendresse, qui conduit la femme vers l’homme de Nazareth pour le délivrer par son audacieuse impertinence : Seigneur, les petits chiens, sous la table, mangent bien les miettes des petits enfants !

 

Car Jésus aussi – parfois – a besoin d’être sauvé, mais j’y reviendrai.

 

La deuxième raison qui me pousse, malgré tout, à me tourner vers le Christ, c’est qu’il est le Visage d’un Dieu qui se laisse toucher.

 

La Bible témoigne d’un Dieu qui s’inscrit dans l’histoire, un Dieu qui met les pieds dans la poussière de notre humanité : Dieu a visité son peuple(3) ! Nos ancêtres dans la foi sont ces hommes et ces femmes qui ont reconnu la présence de Dieu, même et surtout dans leurs faiblesses. Leur vie en a été consacrée d’un parfum de joie(4) – au prix de petits arrangements ou de hautes luttes. Car, il en a fallu, de la persévérance, à ces humains débrouillards, pour faire advenir la vie, pour maintenir leur nom, ou pour obtenir leur droit devant la communauté.

Je ne crois pas que le Dieu de la Bible soit là pour nous faire nous sentir mieux – mais au contraire, pour nous maintenir dans la vigilance. J’en suis persuadé : une religion dite biblique qui perd la mémoire de ces luttes n’est que psychédélisme. Dieu prend parti et nous donne de « croire en notre saison », pour reprendre les mots de la poétesse Andrée Chédid. J’en lis quelques vers :

Sachant qu'elle nous sera ôtée,

Je m'émerveille de croire en notre saison,

et que nos cœurs chaque fois

refusent l'ultime naufrage.

Que demain puisse compter,

Quand tout est abandon ;

Que nous soyons ensemble

Égarés et lucides,

Ardents et quotidiens,

Et que l'amour demeure après le discrédit(5)

La femme syro-phénicienne est de ceux, de celles qui croient en leur saison. Et Jésus est le visage d’un Dieu qui s’engage et qui est solidaire au point de se laisser toucher. Jésus ne nous parle pas d’un « Dieu au-dessus de Dieu», mais bien d’un Dieu qui prend parti.

 

Se laissant toucher, Jésus se laisse aussi convaincre, convertir par la femme, au point de s’exclamer : À cause de cette parole, va : le démon est sorti de ta fille.

Déplacé dans ses certitudes, Jésus entérine le fait que la femme avait en elle ce qu’il fallait de Vie, ce qu’il fallait d’onction pour porter la vie. Ce qui se passe ce jour-là, dans le territoire de Tyr, c’est que Jésus est évangélisé par la femme étrangère. Cette dernière, en réalité, est un Christ, une Christ pour l’homme Jésus.

Jésus se laisse toucher et c’est là sa force. Contrairement à certaines institutions qui s’arc-boutent sur l’idée que telle ou telle habitude ne saurait être révisée au risque de faire trembler les fondations du monde, Jésus élargit son programme. Tant et si bien qu’au chapitre suivant de l’évangile de Marc, toujours en terre étrangère, Jésus nourrit 4000 personnes dont le narrateur nous dit : ils mangèrent et furent rassasiés. L’abondante générosité s’était à nouveau manifestée.

Enfin, la troisième raison qui nous poussera, malgré tout, à nous tourner vers le Christ, c’est qu’il est le Visage d’un Dieu qui encourage à se discuter les Écritures.

Au début des années 2000, un théologien du nom de Jean Vilbas créa un site consacré à une lecture inclusive des Saintes Écritures. Par lecture inclusive, j’entends : une lecture qui fasse droit à l’accueil radical que Dieu manifeste envers toutes et tous. Et ce site, il le baptisa « les Miettes de la table ».

En contexte francophone, ce site a nourri – c’est le cas de le dire ! – tout un mouvement de réflexion, de discernement et d’encouragement, notamment des personnes chrétiennes homosexuelles et transgenres. Il a permis à ces personnes de prendre ou de reprendre goût à la lecture de la Bible et de recevoir celle-ci comme la proclamation de la loi du plus faible.

La Bible est irrévérencieuse et c’est avec une certaine irrévérence que nous devons l’aborder. Avec la rabbin Delphine Horvilleur, je dirais même : « quand on ne fait pas violence aux textes, on fait violence aux hommes », aux femmes ! Or, je le disais, la Bible proclame la loi du plus faible et c’est en ceci que la Loi – la Loi transmise par Moïse – est une bonne nouvelle et une libération. C’est en ceci que les personnes minorisées, marginalisées ont tout intérêt à la lire, à la savourer et même à dire « des miettes ? mais nous n’en voulons plus ! ».

Jaco, un chanteur québécois que j’aime beaucoup, raconte ainsi un rêve dans une de ses chansons :

Jésus m’invite dans son Royaume

Si seulement vous aviez vu ça

Sous un soleil on ne peut plus jaune

On partage un premier repas.

Jésus m’invite dans son Royaume

m’offre des pains au chocolat

me prie de m’asseoir sur son trône

à la droite d’un grand cœur qui bat(6).

 

Mes amis, chers frères et sœurs, la Parole de Dieu contenue sous les antiques formules des Écritures a le pouvoir de vous accompagner, par le Souffle saint, sur un chemin de vie. Ne croyons pas, ne croyons plus ceux qui nous disent que certains, en Église, n’auraient droit qu’aux miettes laissées par d’autres, plus convenables.

Refusez les miettes, exigez les pains au chocolat !

À Dieu seul soit la gloire. Amen.

(1) Op. cit., Albin Michel, Paris, 2018, p. 13.

(2) Victor Hugo, Les Châtiments, Livre IV, 9, 1852.

(3) Lc 7 : 16

(4) Ps 45 :7b

(5) Andrée Chédid, extrait de « Saison des hommes », in Textes pour un poème.

(6) Jaco, chanson « Pains au chocolat ».

Intentions de prière

Pour celles et ceux dont la vie est marquée par l’exclusion, en Église et dans la société. Pour que nous sachions nous engager au service de l’accueil radical, Seigneur, nous te prions.

Pour que les stéréotypes de genre soient combattus dans les Églises, Seigneur, nous te prions.

Pour que nos Églises, quand elles parlent de l’amour de Dieu, aient un enseignement et des actions crédibles, Seigneur, nous te prions.

Oraison

Éternel, notre Dieu, à la table de ton amour, il y a toujours assez de place pour chacune et chacun d’entre tes enfants. Grâce te soit rendue pour l’abondante générosité dont tu nous témoignes, bien loin des miettes dont nous devons parfois nous contenter. Que ton Évangile soit pour nous nourriture et que ta joie coule dans nos vies, afin que nous soyons des témoins et des acteurs, des actrices du vivre ensemble. Par Jésus Christ, ton Fils, notre Seigneur, qui vit et règne avec toi dans l’unité du Saint-Esprit, Dieu, pour les siècles des siècles. Amen.

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